daï : la nouvelle revue juive

Illustration : Mathilde Roussillat Sicsic

Depuis le 7 octobre, l’antisémitisme a explosé en France, comme autorisé par l’horreur.

Depuis le 7 octobre, la vie de beaucoup de Juif·ves de gauche a basculé.

Depuis le 7 octobre, l’identité juive de beaucoup d’entre nous est revenue au premier plan. L’évènement a a minima éclairé notre judéité d’un jour nouveau. 

Et dans cette sidération, nous nous sommes brutalement rendu compte de notre solitude à gauche. Solitude partagée par celles et ceux dont la judéité s’exprimait déjà au quotidien.

Une double solitude : la gauche démonétisée avait été désertée par de nombreux·ses Juif·ves, nous laissant orphelin·es, nous qui y étions resté·es. Et la solitude des Juif·ves de gauche auprès des Juif·ves, plongé·es dans l’incompréhension face aux réactions de soutien inconditionnel à la guerre à Gaza et à la difficulté de conjuguer deux fois son empathie.

Toutes ces solitudes, ces malaises, Golem les a rassemblés le 12 novembre 2023. Ce jour où tout nous commandait de marcher contre l’antisémitisme, mais où le faire avec le Rassemblement National nous indignait : il fallait et marcher contre l’antisémitisme, et refuser le compagnonnage du Rassemblement National. C’est là l’acte fondateur de Golem.

Le dénominateur commun de tous les membres de Golem s’avère relativement étroit : combattre franchement et efficacement l’antisémitisme depuis la gauche, sans compromission. Cela peut recouvrir une large diversité d’opinions. Diversité si vaste que des prises de positions au nom du collectif sont parfois complexes. Cela peut concerner mille facettes de la vie juive : le rapport au judaïsme, à l’universel et au particulier, au sionisme, à l'asionisme et à l’antisionisme¹ ainsi qu’à notre place au sein de la société française. 

Comment participer aux luttes de gauche en étant juif·ve, en tant que Juif·ve ? Dépasser cette recherche de consensus est l’objet de la revue Daï que nous lançons aujourd’hui : faire exister un espace pour les contradictions qui animent les Juif·ves de gauche, un lieu où les divergences produisent de l’émulation intellectuelle et ouvrent les débats. Daï est ainsi née de Golem, mais n’est pas Golem. Daï est et sera une revue indépendante. Elle n’est pas le relai militant de Golem mais la caisse de résonance intellectuelle des Juif·ves qui se retrouvent dans le vide qu’a comblé Golem.

L’idée initiale de la revue était d’y publier tout ce qui peut intéresser les Juif·ves de gauche. Le moment politique nous commande peut-être de proposer une voix juive singulière au sein du débat public.

Une voix qui s’oppose fermement au Rassemblement National, qui ne veut pas se résigner à sa victoire, le péril le plus imminent aujourd’hui. Un voix qui s’oppose à la prétention du RN de représenter  voire à protéger  les Juif·ves. Mais une voix qui demeure également intransigeante avec la gauche. Cette gauche à laquelle nous appartenons, une gauche rassemblée en laquelle nous plaçons nos espoirs, une gauche que nous voulons au clair sur le racisme et sur l’antisémitisme. C’est là que nous pouvons et devons être utiles.

Pourquoi une revue ? Parce que nous devons sortir des seules incantations, nous devons développer une colonne vertébrale intellectuelle ambitieuse, la façonner par la confrontation de nos divergences.

Daï ! veut dire « ça suffit » en hébreu. C’est une interpellation.

Ça suffit le déni d’antisémitisme ! Ça suffit l’instrumentalisation ! Ça suffit les injonctions géopolitiques !

Illustration : Mathilde Roussillat Sicsic

Nous publions cette revue alors que la guerre continue à Gaza depuis neuf mois. L’État d’Israël, — avec lequel nous avons des rapports très variés, qui nous concerne, que nous le voulions ou non — se refuse, avec le Hamas, à un cessez-le-feu. La guerre désastreuse à Gaza menée par Israël, les massacres de civils, la fuite en avant annexionniste nous révoltent pour ce qu’ils sont. Ce sont par ailleurs autant d’obstacles à la libération des otages et à une solution politique au conflit israélo-palestinien. Les neuf derniers mois ont montré des malaises profonds qui fracturent la société israélienne, qui ré-interrogent l’idée sioniste. Pour autant, nous estimons injustifiables le déni du 7 octobre, c’est-à-dire le déni des crimes commis le 7 octobre et le déni de leur nature antisémite, la diabolisation d’Israël, la diabolisation du sionisme et l’injonction faite aux Juif·ves de s’en démarquer – comme si les Juif·ves étaient rédimables sans le sionisme. Nous publierons des textes sur ces deux sujets à la fois, parce qu’il est impossible de parler d’antisémitisme en France aujourd’hui sans parler de la diabolisation d’Israël ni en esquivant les questionnements sur la guerre menée par Israël. Il ne s’agit pas de montrer patte blanche, mais de se confronter à une réalité qui nous transperce.

Dans ce premier numéro, nous publions un entretien avec Brigitte Stora sur les fondements psychologiques de l'antisémitisme ; un article d’analyse sur l'antisémitisme d’hier et d’aujourd’hui au Rassemblement National ; un autre sur la rhétorique antisémite qui se déploie chez Jean-Luc Mélenchon et ce qu’elle implique pour la lutte contre l’antisémitisme ; des billets sur la solitude des Juif·ves après le 7 octobre, un entretien croisé sur les visages de Golem, trois questionnaires de Proust revisités Golem et les recettes de cuisine qui l’accompagnent, puisque selon la blague juive bien connue : « Ils ont voulu nous tuer, on a survécu, qu’est-ce qu’on mange ? »
Cette revue sera mensuelle, le prochain numéro, été oblige, paraîtra fin août.

Vous voulez accompagner cette revue naissante ? Vous souhaitez y contribuer par des analyses,des témoignages, des portraits ou des auto-portraits ? Écrivez-nous à dai.la.revue@gmail.com

  1. La définition même de ces termes fera l’objet d’articles dans de prochains numéros de la revue

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