À la rescousse de Mélenchon
Tal Bruttmann, Christophe Tarricone
Le 17 juin, l’historienne Ludivine Bantigny et d’autres intellectuels ont affirmé dans un long texte de défense de Jean-Luc Mélenchon que les accusations d’antisémitisme à son encontre n’étaient qu’une disqualifaction infamante. Les historiens Tal Bruttmann et Christophe Tarricone leur répondent.
Une escouade vole donc à la rescousse pour dénoncer l’« infâme » soupçon d’antisémitisme qui pèse sur la LFI et se lance dans une entreprise de blanchiment fondée sur un principe simple, circulez y a rien à voir. Leur tribune affirme qu’« il s’agit de plusieurs propos tenus par Jean-Luc Mélenchon » qui vaudraient les critiques sur le sujet. Il faut ici louer les auteurs qui, ne voulant sans doute pas donner un caractère interminable à cette déjà fort longue tribune, réduisent à simplement « plusieurs » les propos qui seraient problématiques. Car ils sont en fait innombrables, auxquels pour faire bonne mesure on pourrait en ajouter tout autant (ce qui fait beaucoup) venant de cadres de la LFI, souvent de sa garde rapprochée. D’ailleurs, il n’y a pas que les propos, il y a aussi les écrits qui sont problématiques. De quoi constituer un véritable petit livre rouge (brun).
Ainsi donc seuls quelques propos sont évoqués, et balayés à coups d’explications tout en mansuétude. Que le guide de la LFI explique l’extrémisme de Zemmour par ses origines (« on ne change rien à la tradition, la créolisation, mon dieu, quelle horreur… Tout ça, ce sont des traditions qui sont beaucoup liées au judaïsme. Ça a ses mérites, ça lui a permis de survivre dans l’histoire ») ne pose aucun problème : « Dire que l’histoire du judaïsme est en partie pétrie d’un rapport de fidélité aux traditions, à la transmission, à la perpétuation d’une culture afin de survivre parfois dans les pires conditions imaginables d’adversité et de persécutions, c’est indéniable », en convoquant Yosef H. Yerushalmi. Ca marche aussi cette explication pour définir Blum, Mendès-France et quelques autres ? Dire que l’histoire de telle ou telle autre religion est en partie pétrie d’un rapport de fidélité aux traditions ça marche aussi pour expliquer la radicalité d’autres responsables politiques qui seraient de religions autres que juive ? Au passage, jusqu’à preuve du contraire, Zemmour ne revendique pas l’application de la loi de Moïse comme clé de son programme raciste, xénophobe et antisémite, et son judaïsme n’a pas grand-chose à voir. À moins qu’il n’existe des traits propres aux Juifs du fait de leur fidélité aux traditions qui les rendraient plus particulièrement propres à être racistes ?
Il faut dire que Mélenchon aime à souligner les origines juives des uns ou des autres, comme récemment au sujet de Jérôme Guedj. En 2013, alors qu’il n’était pas encore le grand mamamouchi de LFI, il avait attaqué Pierre Moscovici, au sujet duquel il estimait qu’il avait le « comportement de quelqu'un qui ne pense pas français ». La sortie ne dépareille ni avec l’attaque de Vallat contre Léon Blum en 1936, ni avec celles de Poujade contre Pierre Mendès-France. Face aux critiques pointant l’antisémitisme, Mélenchon avait répondu : « J'ignorais quelle était la religion de Pierre Moscovici et je n'ai pas l'intention d'en tenir compte dans l'avenir, pas davantage que dans le passé ». Faudrait savoir pourquoi d’un coup il a changé et tient compte de la religion des gens. Un soudain changement d’avis ?
Quand Mélenchon déclare en juillet 2020 « je ne sais pas si Jésus était sur la croix, je sais qui l'y a mis, paraît-il ce sont ses propres compatriotes » (les habitants de la Judée étaient Juifs, s’il était besoin de préciser – Judée dont Danielle Obono ignore visiblement l’existence, à moins qu’elle ait sciemment opté pour dénaturaliser Jésus, ce que l’on admettra être fort peu de gauche), de quoi s’agit-il ? L’un des signataires de la tribune proclame que Jean-Luc Mélenchon a « une sacrée culture d’histoire romaine ». Laquelle sacrée culture lui serait insuffisante pour savoir que ce ne sont pas les Juifs qui ont crucifié Jésus ? Ou serait-ce en raison – la jurisprudence permettant d’expliquer Zemmour par sa religion n’a aucune raison de ne pouvoir s’appliquer aux autres – d’un catholicisme traditionaliste rejetant Vatican II que Jean-Luc Mélenchon tient les Juifs pour déicides ?
Bref, les auteurs de la tribune le clament, cette sortie sur Zemmour « c’est une erreur et d’ailleurs Jean-Luc Mélenchon l’a aussitôt reconnu en expliquant s’être “mal exprimé” ». Oui, Mélenchon est devenu adepte du rétropédalage, probablement afin de devenir lieutenant de pédalo, le capitanat lui échappant. Mais pour y arriver, il faut que ses soutiens viennent à la rescousse. On pourrait s’étonner que tout ce bon monde s’offusque soudainement que la LFI soit accusée d’antisémitisme, alors que les saillies des uns et des autres dont ils prennent la défense s’étalent sur des années, et que cet antisémitisme a été régulièrement pointé. Sans doute la perspective des législatives à venir n’est-elle pas étrangère à cette soudaine tentative de blanchiment.
N’en doutons pas, les signataires venus en défense de la LFI ont une explication exonérante pour chacune des sorties jouant avec l’antisémitisme. Antisémitisme résiduel ? Nouvel exercice de rétropédalage de Mélenchon – les cuisses ça se travaille. Gageons que comme l’ont fait les têtes d’affiches de la LFI, les signataires nous expliqueront qu’on l’a mal compris, qu’il utilisait résiduel au sens de prégnant, persistant. Soit.
Sauf que le phrase dans sa totalité est : « Car contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France ». Et Mélenchon a bien formulé une négation de l’explosion antisémite en France. Il est quand même remarquable que cela soit avec une telle constance que le fondateur de LFI a du mal à trouver les bons mots quand il s’agit de parler des Juifs ou de l’antisémitisme. Peut-être est-ce un coup du « rayon paralysant » qu’il a lui-même breveté, à double titre ? Car Mélenchon ne s’est pas contenté de théoriser ce concept fumeux. Il s’y est essayé il y a quelques années, lorsque s’agissant de discréditer les opposants à Poutine il avait qualifié Boris Nemtsov d’antisémite. Contredit par un journaliste, il avait affirmé ensuite penser à Alexeï Navalny. Tout un chacun est en mesure d’apprécier contre qui Mélenchon a utilisé l’accusation d’antisémitisme, et à quelle fin. Mélenchon ne s’étant pas privé d’utiliser cette accusation pour tenter de disqualifier les deux principaux adversaires de son camarade moscovite, il n’y a aucune raison que par la suite il se prive d’accuser les autres d’avoir des pratiques identiques aux siennes. Questions aux pétitionnaires rejetant les accusations d’antisémitisme : les accusations lancées, celles-ci sans aucun fondement (ni propos, ni écrits), contre Nemtsov et Navalny étaient-elles infâmes ?
Tout à leur bonté, les signataires volent également au secours de David Guiraud, repeint en « bon connaisseur de mangas » afin de l’exonérer d’avoir balancé un mème antisémite sur X (ex-Twitter). Quand même pas de bol de piocher dans un manga qui compte 108 volumes (et des dizaines de milliers de planches) les personnages devenus chez les fans de Soral et Dieudonné – parmi d’autres chantres de l’antisémitisme – un symbole de la « domination juive ». Re-manque de bol quand une autre membre de la LFI (et de l'institut La Boétie) Isabelle d’Artagnan se fend elle aussi de la même référence, félicitant Rima Hassan d’exécuter « des dragons célestes ». Drôle de récurrence au sein des membres de la LFI que cet amour de l’évocation des « dragons célestes ». Sont-ce des pudeurs de gazelles, ou simplement une amnésie soudaine, qui expliqueraient que les signataires de la tribune oublient de rappeler que David Guiraud a expliqué lui-même s’être nourri aux mânes de Soral et Dieudonné ? Forts de leur analyse, nul doute qu’en cas de tweet d’une image de Pepe the frog ils nous expliqueront que c’était un hommage à Kermit la grenouille et qu’il ne faudrait pas y voir de mal, Guiraud étant fan du Muppet Show.
L’empilement des arguments destinés à leur démonstration ne manque pas d’un sens certain du timing. Les signataires s’offusquent que le nom de Blum soit brandi inopportunément par des adversaires de la gauche. Nul doute que ceci est effectivement cocasse et mérite d’être brocardé. Mais tant qu’à défendre l’homme clé de la victoire du Front populaire, on aurait pu attendre également un rappel à destination de Jean-Luc Mélenchon, qui s’amuse à dépeindre Léon Blum comme un critique d’art inexpérimenté qui se serait retrouvé à la tête du Front populaire, oubliant benoîtement qu’il fut membre du Conseil d’Etat à l’âge de 23 ans et président du groupe SFIO à l’assemblée durant deux décennies. Il est étonnant (non, on déconne) que les auteurs de la tribune qui encensent Léon Blum ne s’offusquent pas de le voir ainsi rabaissé par Mélenchon. La posture des signataires est simple : la LFI et ses dirigeants peuvent s’autoriser toutes les outrances, s’adonner à l’antisémitisme, rien ne pose problème. Dans leur long déroulé, ils convoquent Clémentine Autain, Alexis Corbière, Raquel Garrido. Peut-être ont-ils omis de lire les déclarations de la première concernant l’exclusion des deux autres de la LFI : « À la France Insoumise, il vaut mieux avoir été condamné pour violences conjugales que d’avoir défendu la démocratie, manifesté contre l’antisémitisme après le 7 octobre » ?
Mais c’est surtout un dernier point qui dit tout de la nature de cette tribune. Les auteurs assènent leur argument massue, celui agité depuis des mois par la LFI : « C’est un rappel, mais il est de taille : jamais un membre de LFI n’a été condamné pour antisémitisme. » Argument massue certes, mais la massue est en mousse. Étonnante posture des signataires, dont bon nombre sont des chercheurs, qui estiment donc que seule la justice serait en mesure de qualifier ce qu’est l’antisémitisme. L’antisémitisme n’existe que quand seule la justice condamne ? Marine Le Pen n’a jamais été condamnée à ce sujet, pas plus que les principaux cadres de son parti. Ça passe aussi ?
On pourrait leur demander en retour si cette position vaut également pour le racisme ? Auquel cas certaines de leurs analyses sur le sujet n’en tiennent aucun compte. David Dufresne se base-t-il sur les seules décisions judiciaires pour dénoncer les violences policières ? Ludivine Bantigny se fonde-t-elle sur les seules décisions judiciaires pour dénoncer l’islamophobie ? Bonne nouvelle pour tous ceux qui veulent lutter contre les différentes formes de haines, au vu du faible nombre de condamnations judiciaires en France, antisémitisme, racisme, xénophobie et homophobie sont effectivement résiduels. Fermez le ban. Que l’on ne s’y trompe pas, la menace que constitue le Rassemblement national héritier des haines les plus fétides ne peut servir à exonérer ceux qui à gauche n’ont aucun problème avec l’antisémitisme comme le fait cette escouade de blanchisseurs.