Salam Shalom Salut

Mathilde Roussillat Sicsic, Dominique Sopo / Illustrations : Mathilde Roussillat Sicsic

Salam, Shalom, Salut est un projet créé par SOS Racisme en 2018. Un groupe de jeunes bénévoles au sein de l’association, d’horizons culturels variés, formés à la lutte antiraciste, à l’histoire des différentes migrations et des mémoires traumatiques, part faire un tour de France à la rencontre d’autres jeunes en milieu scolaire ou associatif pour débattre et déconstruire les préjugés racistes qui circulent dans notre société. À l’issue de ces rencontres, ils organisent des projections de films, concerts, s’appuyant sur différents supports pour créer du débat.

Le 11 février dernier, lors d’un entretien pour la revue Daï, Mathilde Roussillat Sicsic recueillait les propos de Dominique Sopo, président de SOS Racisme, Romain Montbeyre-Soussand et Sacha Halgand, chargés du projet Salam, Shalom, Salut, puis de Raphaël Assouline et Cynthia Jonqua, participants au projet.

Comment vous est venue l’idée de Salam, Shalom, Salut (3S) et quel regard portez-vous aujourd’hui sur le projet, après plusieurs éditions ?

Dominique Sopo : C'est une idée que j'ai eue au début des années 2010 en partant d’un constat : dans les années 80, l'antiracisme en France et chez SOS Racisme reposait sur une alliance très forte entre les juifs et les arabo-musulmans, s’expliquant en partie par des solidarités liées à l'exil. Ces liens se délitent depuis de nombreuses années et le projet se veut une réponse à cela. On parle aujourd’hui beaucoup du 7 octobre et des tensions qui en ont découlé, mais, en réalité, le délitement des liens a commencé bien avant.

Face à cette situation, je m'étais dit dès le début des années 2010 qu'il serait bon de réactiver les liens entre juifs et arabo-musulmans et de réaffirmer leurs solidarités au travers d’un projet.

En 2018, après le meurtre de Mireille Knoll, on a vu comment Marine Le Pen avait pointé l'antisémitisme musulman alors que sa famille politique n’a jamais été au clair avec l’antisémitisme. On voit là une instrumentalisation de la lutte contre l'antisémitisme pour en réalité s’en prendre aux musulmans ou arabo-musulmans.

Ce fut le facteur déclenchant de notre projet. Il ne fallait pas laisser perdurer une situation où des acteurs - politiques, intellectuels, médias - utilisent la lutte contre l'antisémitisme ou le racisme, non pas pour juguler la haine qui circule dans la société mais pour l’attiser contre un groupe particulier. Ainsi est né Salam, Shalom, Salut, et son orientation spécifique « juifs-arabes » lors de la première édition.

 

Dans votre projet vous tenez à distinguer culture et religion, pourquoi ?

DS : Eh bien, par exemple, il n'y a pas de contentieux entre les juifs et les Guinéens, alors que ces derniers sont musulmans. On comprend bien alors que lorsqu’on parle de musulmans, il s’agit en général des arabo-musulmans. D’autant que juifs de méditerranée et arabes, pour avoir longtemps vécu ensemble, partagent une histoire commune. Cela alimente sans doute les tensions actuelles.

Nous insistons dans 3S sur le fait que l’on n'est pas condamnés aux affiliations identitaires. On travaille aussi sur l’analyse de nos biais propres : dans le groupe auquel on est censé appartenir, il y a peut-être des problèmes qui circulent aussi sur la vision de l'autre. Il faut être capable d'en parler. Nous refusons les affiliations identitaires fermées qui pourraient être utilisées à des fins de confrontation entre différents groupes. S’il y a du racisme, ce n'est pas à cause des juifs et on ne réglera pas l’antisémitisme en tapant sur les arabo-musulmans.

C’est néanmoins ce que propose l'extrême droite : une vision du monde circonstancielle, utilisant plutôt les juifs ces dernières années contre les arabo-musulmans. Certains membres de l’extrême-droite étaient pourtant très pro-arabes il y a quelques années, au regard, notamment, du conflit au Proche-Orient. Ils assumaient plus leur antisémitisme, ils affichaient leur amitié avec de nombreux pays arabes.

Une société ne peut se construire dans la malveillance. On le voit bien dans les différentes polémiques qui ont traversé le débat public après le 7 octobre. L'incapacité pour certains à faire preuve d'empathie et à condamner les attaques du Hamas. Pour d'autres, la difficulté à condamner les bombardements contre les populations civiles gazaouies. Il ne devrait pas être compliqué de faire les deux.

Le respect de la vie des individus est un impératif. Nous sommes attachés à cette idée et au refus de laisser se diffuser des haines : au Proche-Orient évidemment, puisque depuis le 7 octobre ce conflit est revenu très fortement dans l'actualité, mais également ici, où nous refusons les assignations identitaires.

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Et comment est accueilli le projet ?

DS : 3S est un projet qui plaît à des publics variés : institutions, établissements scolaires, monde associatif. Les jeunes apprécient d'avoir un espace d’échange où l’on peut parler des questions d'identité - sujet complexe - ce qui ne correspond pas tout à fait aux traditions françaises ! Ils n’ont pas l’habitude de pouvoir discuter de ces sujets dans un cadre aussi ouvert. Ces identités sont évoquées, non pas pour en faire des absolus et des finalités, mais pour voir comment, malgré ou, peut être, grâce à ces identités multiples, on est capable, ensemble, de construire une France fondée sur l'égalité et la dignité entre les individus.

Ce projet semble être une bouffée d’air frais pour tous les participants, et pourtant, nous avons une immense difficulté à le valoriser médiatiquement. Beaucoup, en France, sont prompts à regretter que les principes de tolérance et d’égalité du pays soient mis à mal mais personne ne souhaite donner de visibilité à un projet qui défend ces principes.

La parole de jeunes d'horizons culturels variés, qui sont capables de parler ensemble au nom de la construction d'une égalité, ne trouve finalement aucun écho médiatique. Cela me pose questions.

  

Comment expliquez-vous ce manque d’intérêt des médias ?

DS : On pourrait quasiment parler de boycott. Ça n’intéresse pas alors que c’est une vision de la France bien plus répandue qu’on ne le pense. La majorité des gens ont envie de vivre ensemble dans la tolérance et malgré leurs différences.

Peut-être faut-il y voir une forme de mépris des responsables politiques, médiatiques et de toute une partie du monde intellectuel français.

 

Dans le dossier de presse de 3S, vous évoquez la rareté des initiatives antiracistes positives et des espaces de discussion sur le sujet. Quels sont-ils ? En avez-vous trouvé ? Avez-vous des alliés ?

Romain Montbeyre-Soussand : Les espaces sont si rares que nous sommes obligés de les créer nous-mêmes. Au niveau local, on est très investis aussi dans le tissu associatif depuis de nombreuses années. À Perpignan, par exemple, première étape de notre tour de France, il y a de nombreuses associations — LGBT 66, Femmes dans la Musique, le Secours Populaire... —  avec lesquelles nous pouvons créer des initiatives positives : temps de rencontres, débats, conférences, commémorations, dîners, festivals antiracistes, concerts… Au niveau national, nous avons des partenariats historiques avec un certain nombre d'organisations, notamment étudiantes et de jeunesse. Par exemple, la FAGE, l'UNEF, ou l'UEJF. Nous travaillons ensemble pour mettre en place des formations dans les universités, dans les fédérations, dans les différentes filières pour sensibiliser à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Avec l'UEJF et la FAGE, nous intervenons également à l'ENS, dans le cadre du programme Coexist.

 

La question de la laïcité a-t-elle une importance dans la façon dont vous construisez le projet ? Aborder les sujets sous l’angle « juif·ve - arabe - musulman·e » comme le fait 3S, qu’est-ce que cela apporte ?

DS : Une société démocratique n'est pas monolithique. En son sein vivent des individus et des groupes sociaux porteurs de différentes cultures. Il en a toujours été ainsi.

En démocratie et, au-delà, dans un projet de société en général, se pose la question de « l’hétérogénéité ». Comment crée-t-on un espace dans lequel justement on peut vivre ensemble à partir de certains principes.

3S vise aussi à montrer que personne n'est condamné à un repli identitaire qui devrait aboutir à ne jamais rencontrer l'Autre, voire à se battre contre lui.

L’évolution du débat public ces dernières années semble pourtant nous entraîner vers ce repli. Il est intéressant de noter que cela ne correspond pas forcément à ce que pense la majorité des Français. On le constate par exemple dans toutes les études qui sont faites par la CNCDH depuis des années sur le niveau de tolérance. Par exemple, le pourcentage de Français qui pensent qu'il y a trop d'immigrés en France a diminué sur les 30 ou 40 dernières années. Si on regarde le débat public aujourd'hui, on a vraiment l'impression qu'il y a une forme d'exaspération qui est à son comble et qui n'a jamais été aussi importante dans le pays. Ce n'est pas vrai. Les préjugés qui existent envers les différents groupes ont plutôt diminué. Il y a une augmentation du pourcentage de gens qui disent qu'être arabe, noir, musulman, ça n'est pas un obstacle pour être un Français comme les autres.

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Il y a peut-être une forme de backlash par rapport à toutes ces avancées par des gens qui jouent sur des peurs et des idéologies extrêmement rétrogrades.

Notre projet en ce sens est parfaitement fidèle à la promesse de la République de garantir à toutes et tous une égale dignité. Cette promesse doit être réactivée.

On entend constamment qu'il y aurait des fractures identitaires dans le pays. Certaines personnes ne regrettent pas les fractures identitaires mais les espèrent et en rêvent. Aujourd'hui, les musulmans seraient trop religieux ou les Arabes trop musulmans. Il y a un siècle, on disait que les Polonais, les Italiens étaient trop catholiques. On assiste à une redéfinition malveillante et réactionnaire du projet républicain. Cela conduit à une désaffiliation. Si la République ne vous protège plus, il est compliqué d'adhérer au projet commun.

Selon les tendances politiques, on a parfois tendance en France à confondre laïcité et athéisme, comment traitez-vous de ces questions ? 

DS : Oui, à gauche, au-delà de la question de l’athéisme, il y a une tradition anticléricale assez forte. Mais je pense qu'il faut faire une distinction entre le fait de s'attaquer justement aux religions, en les critiquant en tant que pouvoir, pour l’emprise qu'elles peuvent avoir sur l'espace public et sur les mentalités, et la question des libertés individuelles, du rapport au monde qui est nourri d’éléments culturels extrêmement divers puisés, pour une partie, dans le religieux.

Dans notre lutte contre le racisme, cette question du religieux ne nous dérange pas. Une des grandes figures de cette lutte, est Martin Luther King, qui était pasteur. En 1983, la marche pour l'égalité¹ est reçue à Paris par Monseigneur Lustiger. Les forces religieuses qui se mobilisent au nom d'un idéal de fraternité, pour l'égalité des droits, pour la solidarité avec les migrants, etc. peuvent aider à notre combat.

 

Je m’interroge plutôt sur la façon dont peut être perçue cette imbrication entre culture et religieux. Pourrait-il y avoir un lien avec le boycott médiatique que vous évoquiez ?

DS : Je pense que ça n'a aucun rapport. On vit une époque de dévalorisation des collectifs, une époque où un jeune sera plus valorisé s’il gère un réseau social, par exemple, que s’il s’engage dans du collectif. C'est triste, mais c'est ainsi et ça n'est pas propre à l'antiracisme. Et puisque vous parliez de folklore, on voit bien toute une série de médias pour lesquels, les Noirs et les Arabes, les Juifs, c'est sympa si ça vient mettre un peu de couleur dans la vie, mais pas plus, on ne les invite pas pour parler de racisme.

SOS Racisme, c'est un espace du vivre ensemble à une époque où cette idée est très  questionnée. Peut-être renvoie-t-on à certains le fait qu'ils n'ont pas envie d'entendre cette parole du vivre ensemble.

Et puis, vous savez, c’est aussi mon côté un peu marxiste, on est dans le monde des élites. Il y a aussi des enjeux de pouvoir qui existent. A-t-on vraiment envie que les Noirs et les Arabes aient accès à toutes les strates de la société ? Je n’en suis pas certain. On voit des résistances par rapport aux femmes aussi. Je repense à une tribune rédigée en 2001 par des membres du PS pour s’insurger contre la parité…²

Dans les strates socio-culturelles élevées de la société, on rencontre peut-être moins de crispations liées à des préjugés ; par contre, les enjeux de pouvoir sont élevés.

Pardon pour cette digression mais cela rejoint pour moi la question du boycott évoquée tout à l’heure.

  

Comment formez-vous les jeunes qui partent faire le tour ? Cette formation a-t-elle évolué depuis les premières éditions ?

DS : Nous avons travaillé dès la première année sur la constitution d’un socle de connaissances sur différents sujets. Car pour en parler, il faut de la culture et on est sur des sujets parfois très méconnus. Quelles sont les relations entre juifs et arabo-musulmans à travers le temps par exemple ? La première année, on avait mobilisé Michel Abitbol³ pour évoquer ces sujets. Denis Charbit avait parlé du le conflit israélo palestinien. Nous avons ensuite mené des formations avec Myriam Darmoni-Charbit sur comment parler de soi justement, car ce n’est pas si fréquent. On travaille donc sur le fond et la forme, même si les deux sont toujours liés.

Même si on transmet des connaissances historiques, on essaie avant tout  de parler de ce que les jeunes vivent réellement dans leur quotidien. Ce conflit sert de toute part de surface projective. Parler de là-bas évite de parler d’ici. Si on parle de nos problèmes ici, il n'y a plus besoin de surface projective. 

Cette structure est toujours une base aujourd’hui. Ensuite, évidemment les thèmes évoluent. Par exemple, la question coloniale est beaucoup plus présente aujourd'hui. Il faut aussi que les jeunes soient formés à ces questions pour pouvoir parler avec d'autres jeunes pour qui c’est important. Le décryptage de l'actualité et la connaissance de l'Histoire sont fondamentaux. On réfléchit donc à la prise de parole sur le récit personnel, les identités multiples, et l’articulation avec des questions plus collectives et politiques. Et ça, ça se travaille, évidemment.

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RMS : Et cela évolue en fonction du contexte aussi. Par exemple, l’an dernier, on avait beaucoup retardé le lancement du tour après le 7 octobre. On ne voulait pas que les jeunes se retrouvent en difficulté et on a augmenté le temps de formation sur le conflit israélo-palestinien. On a d’ailleurs été assez surpris au moment du tour de France, car c'est un sujet qui est très peu ressorti dans les différents échanges. Il est intéressant de voir que quand les jeunes parlent d’eux, ils sont peu interpellés sur des questions géopolitiques. Ce n’est en fait pas le sujet. 

 Avez-vous l'impression, depuis les années 80, la création de SOS Racisme, que la lutte contre le racisme a changé ? Est-ce qu’il y avait davantage besoin de créer ce projet aujourd’hui qu’hier en somme ? Ou bien, est-ce que ça aurait pu être fait de la même façon dans les années 80 ?

DS : Les thématiques ont évolué. Par rapport à la question des discriminations raciales, on voit que, par rapport aux années 80, la question de l'immigration revient très fortement dans le débat public. Avec d'ailleurs des responsables politiques qui agitent beaucoup cette question. On retrouve des débats finalement dignes des années 80 sur le droit du sol.

Je ne suis pas sûr que le projet soit très différent de ce qui aurait pu se faire dans les années 80 ou 90, parce qu'en réalité il y a une forme de lecture nostalgique et rétrospective, notamment dans tout un camp républicain un peu réac’, du « c'était mieux avant », parce qu'avant on parlait d'égalité, on ne parlait pas d'identité. C'est faux. Ces questions ont toujours existé. La question est : comment réussir à intégrer tout le monde dans une lutte commune, malgré des points et identités différentes ? Mais c'est une question qui s'est toujours posée. Est-ce qu'il y a quelque chose de plus grand qui est suffisamment mobilisateur pour entraîner tout le monde, malgré nos oppositions et nos lignes de fracture ?

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Il y a peu de bienveillance dans le débat public. Ceux qui disent que la question des identités envahit l'espace public sont ceux qui font en sorte que cette question de l'identité envahisse l'espace public pour prôner une identité franco-française définie par eux seuls et qui serait en danger. On voit bien qu’en réalité, il y a une obsession identitaire qui n'est pas du tout, comme on le dit souvent, le fait de groupes minorisés. Il y a des obsessions identitaires de personnes qui parlent au nom d'un groupe majoritaire et je pense notamment à l'extrême droite. Lorsque Marine Le Pen parle de République, elle parle en réalité d'identité camouflée derrière ce grossier paravent. Elle tente de manipuler les concepts de République, laïcité... Autant d’idées dont elle est l'ennemi intime.

Ce projet vise aussi à réactiver cet idéal plus grand que nos identités particulières. Et ça, c'est quand même très commun avec l'antiracisme des années 80-90. On se bat pour l'égale dignité des individus. Il y a quelque chose qui doit tous nous dépasser, c'est le fait de combattre ensemble en pour atteindre cet objectif.

Je me tourne maintenant davantage vers les participants, comment préparez-vous ce projet ? Depuis combien de temps travaillez-vous sur cette nouvelle édition et comment vous êtes-vous nourris pour le départ qui approche ?

Sacha Halgand : C’est la deuxième édition que je coordonne en tant que chef de projet et la quatrième en tant que jeune. Les dernières élections nous ont montré que l’extrême droite est de plus en plus forte. Il y a une nécessité à réaffirmer l'importance de ce projet, de faire plus fort avec plus de jeunes, avec plus de diversité. On sait que la prochaine échéance sera 2027. Il y a urgence à contrer la montée de l'extrême droite, du racisme, du fascisme. Et je pense qu'à travers ce projet-là, c'est possible.

Ce n'est pas anodin quand même : un groupe de Noirs, d'Arabes, de Juifs, de Blancs, pour parler vulgairement, qui sillonnent la France pour parler de vivre-ensemble. C’est en fait ce qui constitue vraiment la société française. C’est le visage qu’on a envie de montrer de la France, tout en parlant des discriminations dont on a été victimes et dont on est toujours victimes aujourd’hui.

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Ce projet s'appuie à la fois sur un combat contre l'assignation identitaire et en même temps, il puise sa force dans les identités de chacune et chacun. Comment vous appuyez-vous tout à la fois sur vos identités culturelles, familiales, religieuses ? Comment imaginez-vous que ce sera perçu ?

Raphaël Assouline : Je pense que c'est ce qui fait justement la force et la singularité du projet. En général, dans le camp antiraciste, on a tendance, soit à se substituer, soit à surjouer l'enjeu identitaire. Ici, à l’inverse, en assumant humblement nos récits de vie qui sont très différents, on arrive en plus à s’imprégner de ceux des autres. Ce projet propose, non pas une addition des histoires et des identités, mais une voix commune qui comprend toutes ces identités. Un récit qui prend en compte toutes les identités, les histoires, les trajectoires et les luttes. Ce projet a aussi un intérêt particulier : nous sommes dans un mouvement. Et pour revenir sur le thème de la gauche et de sa fracture avec les juifs : aujourd'hui, dans le camp antiraciste, absolument personne ne propose de lutter à la fois contre l’antisémitisme et tous les racismes avec des Noirs, des Arabes, des Juifs qui parlent tous ensemble, se comprennent mutuellement, ont été formés à ces questions ensemble.

Ça n’existe pas aujourd'hui et tu le sais très bien. À part Golem ! On sait tous ici que ceux qui veulent lutter contre l'antisémitisme ont souvent tendance à être instrumentalisés par ceux qui veulent cracher leur haine des musulmans, et ceux qui veulent prendre à bras le corps le sujet de l'islamophobie laissent infuser dans leurs luttes des discours antisémites. Et nous, on casse ce cercle vicieux en créant une lutte commune.

 

Cynthia Jonqua : Je suis militante depuis juin 2024. C'est vraiment suite aux résultats de l'extrême droite aux élections européennes que je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose, que je rejoigne une asso’ car il y a des échéances électorales qui arrivent. C'est très important qu'on s'engage, qu'on pousse les gens aussi à s'engager avec nous. Ça va arriver vite en fait.

 

SH : Le projet permet aussi de nous réapproprier ces sujets. Beaucoup de responsables politiques ont parlé de la question de l'antisémitisme ou du racisme et on a vu tout le mal qu'ils ont eu à bien le faire, à ce que cela soit incarné par des personnes concernées par le sujet depuis longtemps. Lors de la mobilisation qu'il y a eu pour le NFP en juin 2024, bien que le sujet des discriminations ait été un des mots d’ordre, les personnes concernées étaient très peu mises en avant ou consultées.

Nous, on vient rappeler que nous voulons une gauche qui soit à la hauteur et qui ne fasse pas l'économie de nos sujets en 2027.


Dominique Sopo, est président de SOS Racisme de 2003 à 2012, puis à nouveau depuis 2014. Il est également enseignant en sciences économiques et sociales et ancien militant du Parti socialiste.

Romain Montbeyre-Soussand est co-chargé du projet Salam Shalom Salut. Après des études en géographie et géopolitique, il intègre SOS Racisme en 2021 pour un service civique avant d’y être embauché.

Sacha Halgand est co-chargé du projet Salam Shalom Salut. 

Raphaël Assouline et Cynthia Jonqua sont de jeunes militants de SOS Racisme.

  1. La marche pour l'égalité et contre le racisme, surnommée « marche des beurs » par les médias, est une marche antiraciste qui s'est déroulée en France du 15 octobre 1983 au 3 décembre 1983. Il s'agit de la première manifestation nationale du genre en France.

  2. Appel rédigé par Laurent Baumel et Emmanuel Maurel, membres du conseil national du PS, Jean-Baptiste Roger, conseiller de Jean-Paul Huchon à la région Ile-de-France, et Laurent Bouvet, alors rédacteur en chef de la Revue socialiste.

  3. Michel Abitbol, né en 1943 à Casablanca, est un historien maroco-israélien spécialisé dans l'étude des relations entre Juifs et Arabes.

  4. Denis Charbit est politiste. Il est professeur de sciences politiques à la Faculté des Sciences humaines de l'Open University d’Israël (Raanana) et à Sciences Po, campus de Menton. Il est le spécialiste francophone de l’histoire du sionisme.

  5. Myriam Darmoni-Charbit a investi 20 ans de sa vie à encourager le dialogue et l’apprentissage commun entre juifs et arabes, israéliens et palestiniens. C’est une pédagogue spécialisée dans le dialogue social. Elle a été directrice au Centre de technologie des sciences de l’éducation à Tel-Aviv. Elle a été également maître de conférences en pédagogie à l’Université ouverte d’Israël.

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