Lokmas au sirop de potimarron et mélasse de grenade
Lola Zerbib-Kahanne
Les fêtes de Hanouka approchent et avec elles arrive la préparation des beignets frits. Qui dit friture, dit labeur et charge mentale culinaire pour les femmes qui bien souvent sont les seules à cuisiner lors des fêtes. Arrêter de se réunir en famille autour d’une table ne semble pas être un changement très désirable pour améliorer nos vies et aller vers un meilleur partage des tâches. Alors, peut-on alléger cette charge mentale en préparant des lokmas plutôt que des soufganiot ? Lola Zerbib-Kahanne nous livre ici la recette de ces beignets turcs.
Cette nouvelle édition de Daï traitant principalement des féminismes est publiée fin novembre, à égale distance temporelle de deux périodes de fêtes juives. Les fêtes de Tishri se sont clôturées le 25 octobre avec la fin de Souccot et Hanouka commencera le 25 décembre 2024. À chaque fête juive s’attachent des traditions culinaires particulières, souvent en lien avec le symbolisme de ces évènements. Ainsi nous mangions des aliments pleins de douceur à Rosh HaShana pour nous souhaiter une année paisible et sucrée, et bientôt nous ferons un festin de friture pour commémorer le miracle de la fiole d’huile que nous célébrons à Hanouka.
A contrario, quelque chose semble traverser et habiter l’ensemble de nos célébrations : c’est le travail dans le foyer des femmes, mères de famille ou non. À la préparation des plats traditionnels s’ajoute la charge mentale induite par n’importe quel travail domestique mais aussi accentuée par le cahier des charges imposé par le judaïsme. C’est particulièrement marquant lors des fêtes de Pessah : non seulement il faut sortir de ses habitudes de cuisine (exit les plats de pâtes rapides qui contentent toute la famille), mais il faut aussi préparer la maison en chassant le h’amets et commencer à penser dès Pourim à manger les réserves des aliments qui seront interdits durant la semaine de pâques.
Dans son article, Sophie Goldblum rappelle cette phrase que l’on trouve fréquemment répétée dans la halakha : « Les femmes, les esclaves et les mineurs sont exemptés ». Cet apparent allégement de la charge religieuse est sûrement salutaire pour les enfants qui peuvent vaquer à des occupations de leur âge mais l’est-il pour les femmes ? Certainement pas, comme dans tout système patriarcal, on asservit les femmes en les tenant éloignées des lieux d’études et le judaïsme, par sa Loi complexe demandant d’accomplir un grand nombre de rites dans le foyer, ne déroge pas à la règle.
Heureusement, le judaïsme est perméable au temps et aux réflexions venues du monde séculaire, après tout n’est-il pas dans l’essence de notre religion de ne cesser de se remettre en question ? Ainsi les courants réformateurs, libéraux et les modernités orthodoxes s’emparent des combats féministes et adressent à nos communautés les problèmes de charge mentale et d’inégalité dans la réparation des tâches que génèrent nos fêtes. Saluons ici par exemple cet article de Sarah Musto, ce témoignage d’Esti Rubins ou encore le travail pédagogique fait par Kol’Elles sur Instagram.
Peut-être est-ce paradoxal alors de toujours clôturer les numéros de Daï par une invitation à retourner en cuisine ? Uniquement si on voit la préparation des repas sous la seule facette du fardeau. Manger, cuisiner, se réunir autour d’une table c’est évidemment aussi un moment joyeux et nourrissant de bien des façons. On peut tout de même réfléchir à comment mieux répartir la charge de travail et s’épargner en se demandant quelles recettes nous allons choisir de cuisiner lors des fêtes. Les réflexions ici ont été les suivantes : quelle recette symbolique de Hanouka pouvons-nous proposer qui demande moins de travail et d’ustensiles que les très populaires soufganiot ? Y a-t-il des beignets dont la confection prévoit plus de temps de « repos » que de « préparation » ? Il y a-t-il des desserts dont les éléments peuvent être préparés séparément et à différents moments pour pouvoir se partager les tâches ?
Direction les fourneaux pour voir comment nous avons répondu à ces questionnements.
Pour Hanouka donc, nous mangeons des mets frits. De nombreuses communautés de la diaspora ont pour habitude de préparer des beignets dont les recettes varient plus ou moins : les ashkénazes de Pologne ont importé les soufgnaniot en Israël, en Afrique du Nord on se délecte de sfendj, quand d’autres séfarades mangent des bimuelos, ou en encore des bamboloni. Les bene Israël d’Inde, quant à eux, ont adopté les gubab jamun, et les Turcs, les lokmas. Comme ces derniers sont les plus simples et rapides à préparer, c’est eux que nous allons cuisiner ici. Puis, comme les traditions culinaires juives sont perméables aux lieux qu’elles traversent et aux inventions modernes, nous les accompagnerons d’un sirop au potimarron bien épicé qui rappelle les pumpkin pies venues des États-Unis.
Le sirop demande un poil plus de travail que les beignets, si vous souhaitez alléger la charge mentale induite par cette recette, ces lokmas seront aussi très bons simplement servis avec du sucre glace ou un filet de miel.
Ingrédients pour les beignets :
250 g de farine (T45 à T65)
2 g de sel
7 g de levure fraîche (ou un demi-sachet de levure de boulanger sèche)
1 cuillère à café de sucre
25 cl d’eau
De l’huile de friture (au moins 50 cl)
Ingrédients pour le sirop de potimarron :
350 g de potimarron (avec ou sans la peau)
150 g de sucre cassonade
350 g d’eau
2 g de sel
6 à 8 clous de girofle
4 gousses de cardamome
2 cuillères à café de cannelle en poudre
2 cl de jus de gingembre (ou un morceau de gingembre frais)
3 cuillères à soupe de mélasse de grenade
Préparation du sirop
Découpez le potimarron en morceaux de 4 à 5 centimètres de large et faites-le cuire dans une casserole d’eau pendant 20 minutes. Quand il est cuit, passez-le au mixeur jusqu’à obtenir une purée bien lisse. Ajoutez un peu d’eau dans le bol du mixeur si la purée a du mal à se former.
Placez dans une casserole le sucre, l’eau, le sel, les clous de girofle, la cardamome et la cannelle et faites chauffer le tout à feu doux. Quand le sucre est dissous, ajoutez la purée de potimarron, la mélasse de grenade et le jus de gingembre. Laissez infuser à feu doux pendant au moins 45 minutes. Filtrez le sirop avant de le servir (vous pourrez aussi l’utiliser pour faire des cocktails ou des pumkin spice latte !)
Préparation des beignets
Dans un bol, émiettez la levure, ajoutez une cuillère à café de sucre et une de farine et couvrez d’eau tiède. Mélangez et laissez gonfler pendant 15 minutes avant de continuer la recette. (Si le mélange n’a pas monté, c’est que votre levure est inactive et qu’il convient de recommencer pour ne pas louper vos beignets !)
Placez la farine dans un bol, creusez un puits et semez le sel sur les bords. Ajoutez la levure activée et les 25 cl d’eau tiède. Mélangez jusqu’à obtenir une pâte homogène (sans la pétrir pour autant) et laissez-la reposer au moins 1 heure 30 à température ambiante. Couvrez le bol avec un torchon.
Quand la pâte a bien gonflé (doublé de volume), mélangez-la pour la dégazer. Faites chauffer un bain d’huile de friture à 160°C. À l’aide de deux cuillères à soupe, prélevez des petits morceaux de pâte, et plongez-les délicatement dans l’huile de friture. Faites cuire les beignets jusqu’à ce qu’ils soient dorés à votre convenance. Pensez à les retourner de temps en temps pour avoir une cuisson uniforme. Égouttez-les sur un papier absorbant, servez-les chauds et trempez-les dans le sirop avant de les déguster !
Lola Zerbib-Kahanne est designer et autrice. Avec Salive, elle propose des « micro-voyages gustatifs » dans Paris, une nouvelle façon de découvrir des spécialités culinaires et d’aller à la rencontre de l’autre le temps d’une balade gastronomique. Elle explore les cultures juives et ses cuisines dans son infolettre hebdomadaire « Un litre d’huile par semaine ».
Elle propose à chaque numéro une recette originale pour Daï, elle fait également partie du comité éditorial et illustre parfois des articles.