La paix viendra des femmes ?
Rencontre avec Fadela Vaillant
Texte et photo : Lisa Hazan / illustration : Lola Zerbib Kahanne
Le 23 septembre dernier, les Guerrières de la Paix rassemblaient un millier de personnes pour écouter des Israélien·nes et des Palestinien·nes porter un espoir de paix. L’autrice Lisa Hazan y assistait. Elle fait le récit de cette soirée, interroge une militante des Guerrières, Fadela Vaillant, et propose une réflexion stimulante sur la place des femmes dans le camp de la paix.
Lundi 23 septembre dernier, Paris appelait à la paix.
Au théâtre national de la Colline, les militant·es pacifistes se sont succédé. Ils ont alerté « Nous sommes à un point de non-retour » (Amira Mohammed¹), appelé à l’aide « le peuple palestinien, mon peuple, a besoin de votre aide et de votre soutien » (Ali Abu Awwad²), affirmé leur volonté de lutter. « Israël et la Palestine, ce sont nos maisons. On va se battre pour elles, on ne partira pas » (Rula Daood³).
Les témoignages bouleversent. Comme celui de Tahani Abu Daqqa, ancienne ministre de l’Autorité palestinienne, qui a tant lutté pour la paix, qui venait de mener à terme un projet écologiste, et qui a vu tous ses plans s’effondrer à cause de la guerre.
Sur un écran, des images des massacres sont projetées : une femme palestinienne hurle de douleur après que ses enfants ont été tués. Une femme israélienne répète en boucle le nom de sa fille otage, dans un mégaphone.
Ça fait plus d’un an que la guerre dure.
Mais malgré l'horreur qui n'en finit pas, les voix des militants restent optimistes : « La paix est possible ». Si cette affirmation peut laisser perplexe (les dirigeants israéliens et palestiniens n’ont jamais été aussi radicaux, plus de 40 000 morts à Gaza, 3 000 au Liban, et une centaine d’otages israéliens encore aux mains du Hamas), force est de constater que ce soir, des Israélien·nes et des Palestinien·nes que tout oppose, sont réuni·es pour lutter ensemble et donnent des raisons d’espérer.
Comme le promet Hanna Assouline, fondatrice des Guerrières de la Paix et à l'initiative de ce rassemblement : « Nous sommes bien plus forts et bien plus nombreux que tous les propagateurs de haine. Ils doivent savoir qu'ils nous trouveront toujours face à eux, debout et unis. Ils ne gagneront pas. »
Les Guerrières de la Paix – Rencontre avec Fadela
Créé en France en 2022 par Hanna Assouline, les Guerrières de la Paix est un mouvement de femmes de toutes sensibilités, cultures et croyances qui luttent pour la paix, la justice et l’égalité. Elles se battent contre toutes les formes de haine qui traversent la société française, notamment le racisme, l'antisémitisme, l'islamophobie, la haine anti-LGBTQIA+ et tous les ostracismes.
Au-delà des frontières, elles sont mobilisées partout où les droits des femmes sont menacés, et les droits humains bafoués. Ukrainiennes, Ouighoures, Iraniennes, Palestiniennes, Israéliennes, Russes, Rwandaises… Leurs combats sont aussi ceux des Guerrières.
Fadela, 25 ans, responsable de la section étudiante des Guerrières de la Paix, m’explique :
« Dans une guerre, les femmes sont les premières victimes. Elles vont perdre leurs fils, leurs maris, vont être violées – puisque le viol est souvent utilisé comme une arme pour déstabiliser les soldats. Elles restent chez elles, ont peur pendant que les hommes combattent. Mais ce qu'on oublie de dire, c'est qu'après la guerre, quand tout est détruit, les femmes sont aussi les premières à tout reconstruire. Et que pendant la guerre, ce sont elles qui appellent à la paix. »
C’est encore vrai pour le conflit israélo-palestinien où les femmes ont une longue histoire d’activisme pour la paix.
Dans son essai Guerre et violences de guerre au Moyen Orient, Valérie Pouzol revient sur ces Israéliennes et Palestiniennes qui, dès la première Intifada en 1987, occupent l’espace public de la protestation. Elles organisent des manifestations, des rencontres et participent à des groupes de dialogue en réfléchissant à ce que leurs propres luttes pourraient apporter à la construction de la paix. Leurs réunions et leurs actions locales permettent également que des rencontres internationales de femmes se tiennent dans les années 1990, jalons importants dans la construction du dialogue israélo-palestinien.
« Si elles n’ont pas débouché sur l’instauration d’une paix entre les deux peuples, ces longues années de militantisme n’en ont pas moins profité aux femmes. Ces dernières ont élaboré des techniques de résistances non-violentes, affiné des discours qui réfutent toute forme d’oppression et de domination (nationale, politique, sexuelle, ethnique) tout en refusant que la paix soit construite sans elles. » (Valérie Pouzol)
Aujourd’hui, c’est Women Wage Peace au Proche-Orient, et les Guerrières de la Paix en France qui prennent le relais.
« Comme les femmes ne sont pas directement sur le front, elles ont plus de recul sur la situation. » analyse Fadela. « Elles ont aussi une plus grande conscience de l'importance de la vie puisqu'elles la portent en elles. »
C'est ainsi que malgré l'horreur au Proche-Orient, les morts qui s'accumulent, les discours qui se polarisent en France, la haine contre les minorités qui augmente chaque jour un peu plus, les guerrières continuent d'agir et de faire entendre une voix apaisée, conscientes que les haines s’alimentent les unes les autres et que seule la paix mènera les peuples du Proche-Orient à la sécurité.
Elles organisent des conférences, des rassemblements, redonnent la parole aux premières concernées :
« Ce sont ces voix-là que l’on devrait écouter, se désole Fadela. Mais les voix pacifistes sont souvent écartées dans les médias pour privilégier celles de chroniqueurs, qui ne sont pas des spécialistes, qui polarisent le débat et attisent la haine. »
Les Guerrières de la Paix organisent des voyages en Israël et en Palestine, et participent chaque année à l’Appel des mères, un appel pour la paix organisé par l’association Women Wage Peace, qui réunit des militantes palestiniennes et israéliennes.
En 2023, l’appel eut lieu du 31 septembre au 5 octobre. Deux jours avant la catastrophe.
« Vivian Silver était là, se souvient Fadela. Ce voyage avait été très émouvant et enrichissant. On avait rencontré beaucoup de femmes différentes, comme une écrivaine sénégalaise, et une femme ouïghoure, qui parfois risquent leur vie pour la paix... »
Puis, le 7 octobre.
« Ça avait quelque chose d’irréel. J’étais abasourdie, sidérée. Je me disais “ça aurait pu être toi”. Les massacres se sont vraiment passés là où on était. Je n’avais toujours pas lavé mon sac de voyage, pour te dire à quel point c’était proche ! On n’avait plus de nouvelles de Vivian Silver, plus tard on a appris qu’elle avait été brûlée. »
Les Guerrières sont sous le choc, mais trouvent la force de se soutenir les unes les autres. Les moins touchées aident les autres à tenir le coup.
« Pour aller mieux, tu as besoin d’être entourée de gens qui vont bien, commente Fadela. Je sais que les étudiant·es juif·ves se sont senti·es très seul.es après le 7 octobre parce que leurs camarades à l’université n’étaient pas compatissants. Ils ont trouvé refuge auprès d’autres juif·ves qui allaient mal aussi. Quand tout le monde est malheureux, c’est difficile de se tirer vers le haut. Les étudiant.es qui étaient déjà membres d’associations comme Les Guerrières de la paix ou Jalons pour la paix (autre collectif dont Fadela fait partie) ont pu être accompagné·es et soutenu·es pendant cette période ».
Pressentant l’instrumentalisation des douleurs pour monter les minorités les unes contre les autres et ajouter du malheur au malheur, elles appellent tout de suite à la solidarité, à lutter contre les amalgames, à se battre pour la paix, la justice et la dignité.
Un an après, leur discours n’a pas changé.
« Évidemment, j’ai été tentée de désespérer comme tout le monde, avoue Fadela. J’ai une amie à Haïfa qui n’ose plus sortir de chez elle à cause des roquettes. Un ami palestinien qui n’ose plus sortir non plus, à cause des attaques des colons en Cisjordanie. Et puis maintenant, il y a la guerre au Liban…
Mais lundi soir, quand il y a eu l’appel de Paris pour la Paix, la salle était comble. Des gens sont même restés debout pour écouter les témoignages. Quand tu entends des Palestiniens et des Israéliens - des gens qui à priori ne sont pas faits pour se rencontrer - et qui militent ensemble pour la justice, la dignité et l’indépendance des deux peuples, ça te donne de l’espoir. Tu comprends que la paix est possible
Lisa Hazan est une jeune autrice franco-israélienne. Elle a publié en août 2024 aux éditions de l’Équateur son premier roman, Shabbat noir, récit de sa journée du 7 octobre.
Amira Mohammed est une Palestinienne citoyenne d’Israël, co-animatrice du podcast The Third Narrative
Ali Abu Awwad est palestinien de Cisjordanie, il a fondé Taghyeer (Changement), mouvement national palestinien promouvant la non-violence
Rula Daood est une Palestinienne citoyenne d’Israël, co-dirigeante de Standing Together