Les voix pacifistes israéliennes

Rencontre avec Mauricio Lapchik 

Lisa Hazan / Photos : Lisa Hazan

Dans le précédent numéro, Lisa Hazan portait un regard inquiet sur le conflit israélo-palestinien qui semble sans issue et se posait la question « jusqu’à quand ? ». Aujourd’hui, elle part à la rencontre de Mauricio Lapchik, un des portes-paroles de La Paix Maintenant, Shalom Ahshav, mouvement sioniste de gauche. Ils veulent y croire maintenant, en implémentant la solution à deux États : contre l’occupation, pour la création d’un État palestinien aux côtés d’Israël.
TW : un des témoignages dans cet article relate des faits de violence ayant eu lieu le 7 octobre qui peuvent heurter certaines personnes.

Le 17 août 2024 au soir, comme chaque samedi depuis quatre mois, des milliers de manifestants sortent dans les rues d’Israël. Ils réclament le retour des otages, crient leur colère contre Netanyahu, l’exhortent à signer un accord. À Doha, les négociations avec le Hamas se poursuivent [NDLR : l’article a été écrit la semaine du 19 août], mais la population israélienne n’est guère optimiste. Rue Kaplan, à Tel Aviv, elle s’époumone : « Netanyahu se fiche des otages », « Le gouvernement doit tomber », « Stop à cette guerre », « Ramenez les otages à la maison, Ahshav ! »

Ahshav  maintenant en français – revient en boucle. Le mot court dans toutes les bouches. Des enfants aux vieillards. Des militants les plus radicaux, aux moins politisés. Ahshav, Ahshav

Le retour de Kfir ? Ahshav ! De Liri ? Ahshav ! La signature d’un accord ? Ahshav ! La fin de la guerre ? Ahshav !

Plus qu’une seule trêve, certains demandent une paix durable : la fin des territoires occupés ? Ahshav ! Deux États et des vies en sécurité ? Ahshav !

On brandit des pancartes « Plus de morts ne serviront à rien ». On souffle dans les trompettes, on siffle, on frappe les tambours. Et on répète de plus en plus fort : Ahshav, Ahshav ! 

C’est urgent. On n’a plus le temps. On veut la paix maintenant.

Shalom Ahshav – La Paix Maintenant

La Paix Maintenant, c’est la revendication de Shalom Ahshav depuis 1978. Cofondé par l’écrivain Amos Oz, ce mouvement est le plus grand d’Israël à agir pour une paix juste et durable entre israéliens et palestiniens, basée sur le principe de deux États pour deux peuples. Sionistes de gauche, ses militants se battent pour que soit reconnu le droit d’Israël à exister dans des frontières sûres et définies, qu’Israël reconnaisse ce même droit à ses pays voisins et que soit reconnu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, avec en particulier la création d’un État palestinien recouvrant  les territoires occupés par l'Égypte et la Jordanie de 1948 à 1967, puis par Israël depuis la guerre des Six Jours.

Shalom Ahshav entend également sensibiliser la société israélienne à la question palestinienne. Mauricio Lapchik, chargé des relations internationales dans le mouvement, m’explique : 

« La situation dans les territoires s’est particulièrement aggravée ces deux dernières années. Le gouvernement israélien a autorisé la construction de 12 000 nouveaux foyers. Depuis 2024, il a également laissé prospérer 25 avant-postes illégaux. La police les soutient de plus en plus. Jeudi 15 août, il y a aussi eu une attaque avec des colons violents qui ont brulé des véhicules et tué un Palestinien. C’est important que les Israéliens sachent ce qui se passe. Pour cela, nous proposons avec Shalom Ahshav des visites dans les territoires occupés, ou des cérémonies ouvertes au public. »

Ils organisent aussi de nombreuses manifestations, contre l’occupation des territoires, ou contre Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale et dirigeant du parti suprémaciste Force juive, auxquelles de nombreux Israéliens participent. En 2023, lorsque le peuple s’est opposé à la réforme judiciaire de Netanyahu, ils lancent la campagne « Stop à l’Occupation, la démocratie est possible ». 

« On ne peut pas vivre dans une démocratie s’il y a une occupation de territoires. Une partie des Israéliens a compris qu’il y avait un lien entre les deux. D’autres ont préféré ignorer ce qui se passait. On essaye de montrer que ce qui se passe dans les territoires arrivera aussi ici, en Israël. La violence des policiers dans les territoires, elle a lieu maintenant en Israël. Les manifestations qui étaient interdites dans les territoires occupés le deviennent en Israël aujourd’hui. Nous par exemple, il y a plein d’activités que l’on faisait avant et qu’on ne peut plus faire aujourd’hui, comme des ateliers en commun avec les Palestiniens… »

Aux Juifs en diaspora, qui subissent un antisémitisme violent depuis le 7 octobre et le début de la guerre et perçoivent parfois les critiques du gouvernement israélien comme un danger pour l’existence d’Israël, Mauricio Lapchik explique :

« Moi, je n’ai pas un discours de haine. Je milite parce qu’Israël m’importe. Il faut comprendre que notre pays gagnera à trouver un accord, la paix est la seule solution pour vivre en sécurité. »

Mais la paix, en Israël, est-elle encore audible ? La douleur d’une résidente du Kibbutz Yeted, où je m’étais rendue au début du mois, me revient en tête : « Qu’on ne me parle plus de paix, je n’y crois plus ! On a tout fait ici pour que ça se passe bien avec les Palestiniens. On leur a donné du travail, on a aidé les enfants avec l’école… Et ils sont venus nous tuer. Il y avait des enfants de cinq ans et des vieux de quatre-vingt ans avec une arme à la main pour nous tuer. Ils ont éventré une femme enceinte, ils ont arraché son bébé… Alors non, moi je ne veux plus entendre parler de paix. Et pourtant, j’étais de la gauche radicale. » Elle avait ajouté  « Je parle en mon nom. D’autres membres du Kibbutz y croient encore… » 

Mauricio est de ceux qui y croient encore :

« Nous traversons une période très dure, admet-il, c’est difficile de faire face au traumatisme du 7 octobre, pour la société israélienne et pour la société palestinienne. Depuis, il est devenu encore plus difficile d’entendre les voix pacifistes. Mais je trouve qu’il y a une progression. Depuis cinq ou six mois maintenant, les Israéliens veulent un cessez-le-feu et comprennent que cela permettra un retour des otages. Ils comprennent que cette situation ne peut plus durer.  Nous avons deux solutions : soit parvenir à un accord avec des forces palestiniennes prêtes à reconnaître l’existence d’Israël, ou sinon, finir comme un seul pays. Mais dans ce cas Israël ne sera plus un pays démocratique. Il y a des Palestiniens de la mer au Jourdain et les forces israéliennes au pouvoir actuellement ne leur donneront jamais des droits égaux aux nôtres. Il y a un vrai danger en ce moment, il faut choisir quel sera le futur de notre pays.

Aucun de nous, Palestiniens ou Israéliens, n’ira nulle part. Donc soit on vit tous ensemble, soit on meurt tous ensemble. Je crois que la majorité préfère continuer à vivre, nous devons chacun avoir notre État. »

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