Être objecteur de conscience en Israël

Fabienne Messica / Illustrations : Mathilde Roussillat Sicsic

Au printemps 2023, des milliers de réservistes refusaient publiquement d’honorer leurs missions pour protester contre la réforme judiciaire. Ce mouvement d’objection de conscience pour la démocratie a été brutalement interrompu par l’attaque du Hamas le 7 octobre et l’entrée en guerre d’Israël qui l’a suivie.  

Avec la poursuite de la guerre et  les crimes de guerre qu’elle entraîne, l’objection de conscience comme moyen de lutte contre l’occupation et la colonisation des territoires depuis la guerre de 1967 est réapparue sur la scène politique avec la déclaration de refus de Tal Mitnick en décembre dernier. Dans cet article, Fabienne Messica, sociologue, membre du Comité National de la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et co-autrice avec Tamir Tsorek d’un ouvrage  sur les refuzniks retrace succinctement l’histoire de ce mouvement qui refuse l’occupation.

"lo" : "non" en hébreu

Le 25 février 2024, Sofi Orr, une jeune femme de 18 ans appelée par l'armée israélienne pour son service militaire, s’est présentée à la base Tel-Ha-Shomer à Kiryat Ono, à quelques kilomètres de Tel Aviv pour demander son exemption pour raisons politiques. Alors que le groupe d’hommes haredi – des juifs ultra-orthodoxes – qui s’étaient présentés en même temps qu’elle, obtenaient l’exemption pour raisons religieuses, elle fut immédiatement condamnée à 20 jours de prison avant son procès. Un sort qu’ont connu de nombreux objecteurs, hommes et femmes, depuis de nombreuses années et souvent, dans une grande solitude. 

Les premiers cas d’objection de conscience en Israël remontent à 1948 mais le phénomène est mal connu. La première objection remonte à 1948. Il s’appelait Shalom Zamir et refusa, lorsqu’éclata la guerre au lendemain de la partition, de combattre les armées arabes. Puis il y eut quelques refus en 1956 mais c’est surtout à partir des années 80 que le mouvement prit une certaine ampleur. 

Selon le mouvement pacifiste et féministe New profile, l’objection de conscience assumée comme choix politique concerne 3% des conscrits, principalement des hommes, les femmes ayant davantage de moyens d’échapper à l’armée sans déclarer une objection de conscience politique. Ces voix prônant la paix avec les Palestiniens et des changements structurels dans la société israélienne sont devenues de plus en plus marginalisées depuis les attentats du Hamas du 7 octobre. Pourtant, nombre de conscrits confrontés à l’exercice de la conscription ne parviennent pas à finir leur service : en 2018, sur 9 657 soldats emprisonnés pendant leur service, 55% le sont pour désertion ou refus d’obéir à un ordre et 3% pour objection déclarée dans un contexte où globalement, sur la même cohorte, 11,4 % sont exemptés pendant leur service¹ pour des raisons principalement liées aux conséquences psychiques de la conscription. 

En Israël, l’objection de conscience pour raisons politiques n’est pas un droit reconnu. Depuis sa naissance, l’État a promu l’armée à une place symbolique et politique majeure : c’est une force de défense d’Israël et cette notion de défense, ce devoir de protection du pays et de ses habitants s’impose dès le plus jeune âge dans l’éducation des enfants. Pour un pays qui a presque été constamment en guerre, c’est une institution majeure à laquelle une part importante du budget de l’État est consacrée : 10% dans les années 60, 30% en 1975, près de 5% actuellement mais un budget multiplié par 4 depuis 25 ans. 

Au cours des dernières décennies, la frontière entre le militaire et le civil s’est par ailleurs estompée avec une participation croissante de grands généraux en retraite à la vie politique israélienne, ces derniers se situant d’ailleurs le plus souvent à gauche de l’échiquier politique. De plus, l’armée s’est toujours vue octroyer un rôle social, celui, notamment, d’intégrer à la nation israélienne les nouveaux immigrants. Enfin elle joue un rôle culturel de promotion et de financement de projets culturels et un rôle d’information. 

« En Israël, de nombreuses organisations se situent à la limite entre le domaine civil et militaire : Galei Tsahal, la station de radio militaire qui emploie de nombreux civils et dont les émissions sont destinées à l’ensemble de la société, le fonds Libi qui collecte les dons du public pour le bien-être des soldats, et la tradition de Gadna (entraînement militaire destiné à la préparation mentale et idéologique des Lycéens au service militaire) »²

Pour autant, Israël n’est pas dirigé par l’armée et elle n’est pas une société aussi militariste qu’on la dépeint. Comme en témoigne l’émergence de mouvements féministes anti -militaristes comme New Profile, l’armée peut être critiquée et surtout, les effets désastreux sur la société elle-même et sur les jeunes peuvent être dénoncés. Car depuis 1967, l’armée est au cœur d’une contradiction majeure. Cette armée de défense est en effet chargée désormais d’opérer en territoires occupés et de défendre les implantations coloniales en Cisjordanie. Cette situation d’occupation modifie son rôle, ses pratiques, son vécu. Depuis longtemps déjà, l’image d’invincibilité et de pureté morale de l’armée s’est fissurée. Accusée d’impréparation en 1973, impliquée dans des guerres qui, comme la guerre du Liban en 1982 furent impopulaires, y compris en Israël, de plus en plus souvent accusée de crimes de guerre, elle est traversée par de nombreuses tensions. L’émergence du mouvement Breaking the Silence qui dénonce les crimes commis par l’armée dans le cadre de l’occupation (le mouvement est né en réalité dès 2002 au moment de la deuxième Intifada) montre aussi que la vision d’une armée qui serait la plus morale du monde ne résiste pas à une réalité coloniale. Bien qu’elle représente encore maintenant une sorte d’autorité morale, l’armée est minée, comme toute la société israélienne mais en étant en première ligne, par l’occupation des territoires conquis en 1967 et la situation coloniale.

Il n’en demeure pas moins que dans un pays qui se vit comme en insécurité constante et qui connaît régulièrement des phases d’attaques terroristes, l’objection de conscience reste et demeure sévèrement jugée. C’est pourquoi, outre qu’elle expose à des procès, des périodes d’emprisonnement successives, l’impossibilité d’exercer un certain nombre de métiers et, de manière générale, à de nombreuses discriminations, elle divise la société israélienne mais aussi les familles. De nombreux Israéliens et Israéliennes n’assument pas publiquement leur objection. Ils et elles tentent d’obtenir des exemptions de multiples manières, rendant ainsi le phénomène de l’objection politique difficile à quantifier. En 2020, ce sont, selon les chiffres de l’armée, 29,4% des hommes qui bénéficient d’une exemption, la moitié pour raisons religieuse, et 43,5% des femmes dont 80% pour raisons religieuses. 15% des soldats ne finissent pas l’armée : les deux tiers sont des hommes exemptés pour blessures ou traumatismes psychiques principalement, l’objection de conscience ne donnant presque jamais lieu à une exemption. Quant aux femmes, exemptées en cas de mariage ou de maternité et dont le service est réduit à 20 mois, étant nettement moins nombreuses dans les unités de combat, elles sont moins nombreuses à se déclarer objectrices de conscience mais plus nombreuses à s’engager dans des mouvements pacifistes et féministes.

L’objection de conscience : un phénomène en augmentation 

Malgré quelques cas d’objection de conscience plutôt rares dès la création de l’État, il faut attendre 1978 pour voir se développer, au sein même de l’armée, un mouvement de protestation face à la politique de l’État. En 1973, 348 officiers de combat et soldats font paraître dans la presse une lettre ouverte au premier ministre Menahem Begin lui demandant de saisir les opportunités d’un règlement global et pacifique du conflit avec les Palestiniens. La « Lettre des officiers », expression politique au sein de l’armée, adressée majoritairement par des vétérans de la guerre de 1973 mettait l’accent également sur les objectifs sécuritaires. Elle fut l’embryon qui donna naissance ensuite au mouvement de La Paix Maintenant (Shalom Ahshav).

Mais c’est en juin 1979 que Tsahal fut confronté pour la première fois à une déclaration publique collective d’objecteurs et objectrices de conscience : un groupe de 27 lycéens écrivit au ministre de la défense Ezer Weizman pour lui faire part de son refus de servir dans les territoires occupés. Bien que l’armée ne soit pas en face d’un mouvement structuré, ni réellement menaçant, pour la première fois, sa réaction fut dure avec des interpellations et des périodes de prison successives pour ces jeunes.

La guerre du Liban constitua une seconde étape dans le développement de l’objection de conscience en Israël. Cette guerre menée par le Likoud était perçue par la gauche comme une guerre inutile, dangereuse pour Israël et dont les objectifs étaient politiques et non sécuritaires. Le mouvement La Paix Maintenant, pris dans la tension entre son opposition à cette guerre et sa volonté de rester dans un discours légitimiste, vit le départ des militants les plus à gauche. C’est dans ce contexte qu’émergea le mouvement d’objecteurs de conscience Yesh Gvul  (il y a une limite ou une frontière) qui contestait la guerre du Liban et l’occupation. Ce mouvement soutenait les soldats emprisonnés pour objection : en trois ans, 2 500 personnes y ont adhéré, elles n’étaient pas toutes des soldats ou soldates combattantes mais pendant cette guerre, 170 personnes furent jugées en cour martiale pour avoir refusé d’y participer. La plupart avaient fait le service militaire et nombre d’entre elles étaient dans des unités d’élite. Sur un plan sociologique, ils appartenaient principalement à la classe moyenne israélienne et nombre d’entre eux avait grandi dans des kibboutzim. A cette objection assumée s’ajoutait l’objection « grise » : des soldats acceptaient de ne pas se déclarer objecteurs de conscience et en échange, on les exemptait de cette guerre en les renvoyant en arrière ou en leur confiant d’autres tâches.

Après la première Intifada, en 1987, les cas d’objection, en particulier l’objection « grise », se multiplièrent, sans que cela devienne un mouvement massif car le cadre du processus d’Oslo donnait le sentiment d’une situation tendue, certes, mais provisoire. Entre 1993 et 2000, seulement 20 soldats furent jugés en cour martiale.

Mais la deuxième Intifada devait mettre fin à cette illusion. Entre 2000 et 2002, 189 soldats furent jugés pour leur refus de servir dans les territoires occupés. Il s’agissait là d’un refus sélectif. Les objecteurs étaient prêts à prendre les armes si le pays est attaqué. Même parmi les objecteurs qui refusent radicalement de servir dans Tsahal, 20% seulement se déclarent comme des pacifistes. La majorité donc serait prête à défendre son pays mais s’oppose à l’occupation et à la colonisation.

Le refus au cours de la seconde Intifada

La vague de refus pendant la seconde Intifada fut suivie de deux événements : la lettre des élèves de terminale signée par 62 jeunes et adressée au premier Ministre Sharon, déclaration d’objection de conscience politique et condamnation sans réserve de la politique du gouvernement de Sharon qu’ils qualifient de raciste, agressive, en contradiction avec les Droits de l’Homme et l’ensemble de traités ratifiés par Israël.

Une fois appelés au service militaire l’ensemble des signataires signifia son refus et ils furent tous et toutes emprisonnés pendant des périodes successives, cumulant pour certain·nes, six ou sept mois de prison pendant la conscription puis des périodes de prison ensuite en tant que réservistes.

La lettre des lycéens exprimait un refus global de la politique israélienne sans établir forcément de distinction entre le rôle de défense de l’armée et l’action dans les territoires occupés. Elle resta donc relativement inaudible pour le public israélien. Mais elle fut suivie par un nouveau mouvement : « Le courage de refuser ».

Le courage de refuser

En janvier 2002, 52 soldats et officiers de réserve israéliens signent un appel dans lequel ils déclarent refuser de servir au-delà des frontières de 1967.

« Nous, officiers et soldats, combattants réservistes des Forces de Défense d'Israël, qui avons été élevés dans le berceau du Sionisme, du sacrifice et du don de soi pour le peuple d'Israël et pour l'État d'Israël, 

Nous qui avons toujours servi sur les lignes de front, qui étions les premiers à mener toutes sortes de missions, dans le but de protéger l'État d'Israël et de le renforcer. 

Nous, officiers et soldats, combattants réservistes qui avons servi l'État d'Israël pendant de longues semaines lors de chaque guerre, malgré le prix élevé pour nos vies personnelles. 

Nous qui, en accomplissant notre devoir militaire dans les Territoires occupés, avons reçu des ordres et des directives qui n'avaient rien à voir avec la sécurité de notre pays, et dont le seul but était de poursuivre notre contrôle sur le peuple palestinien. 

Nous dont les yeux ont vu couler le sang des victimes des deux camps à cause de cette occupation. Nous qui prenons conscience que les ordres qui nous sont donnés dans les territoires occupés détruisent toutes les valeurs avec lesquelles nous avons grandi dans ce pays. 

Nous qui comprenons maintenant que le prix de l'occupation est la perte du caractère humain des Forces de Défense d'Israël et des valeurs de la société israélienne.

Nous qui savons que les Territoires ne sont pas Israël, et que toutes les colonies sont destinées à être évacuées. 

Nous déclarons que nous ne continuerons pas à poursuivre cette guerre pour les Colonies. Nous ne mènerons pas de combats au-delà des frontières de 1967 pour opprimer, chasser, affamer et humilier un peuple entier. 

Nous continuerons à servir dans les forces de défense d'Israël pour toute mission de protection et de défense du pays. L'occupation des territoires et l'oppression d'un peuple ne sont pas au service de cet objectif : nous n'y prendrons pas part. » 

Malgré l'aggravation de la situation au Proche-Orient et le raidissement qu'elle suscite au sein de la société israélienne, cette déclaration recueille très vite plus de 500 signatures et rencontre un écho important en Israël.

Ce n’est pas la première fois que des soldats expriment leur refus sélectif et condamnent la politique israélienne. Mais le contexte est particulier avec d’une part près de deux ans de révoltes palestiniennes et le gel — en réalité, la fin — du processus d’Oslo attribué en Israël aux Palestiniens. Le parti travailliste, principal parti d’opposition, avait rejoint le gouvernement de Sharon. Les quelques groupes de gauche comme Gush Shalom³ (le bloc de la paix) et le groupe judéo-arabe Ta’ayush (vivre ensemble) ne parvenaient plus à mobiliser. Enfin, Israël connaissait la vague d’attentats terroristes la plus meurtrière de son existence : à partir de janvier 2001, une vague d’attentats-suicides sans précédent fait près d’un millier de morts et 7 844 blessés parmi les civils, dont la grande majorité au cours des années 2001-2004.

Aussi, la force de la lettre du Courage de refuser réside-t-elle dans le choix de s’appuyer sur le prestige de l’armée en général et des unités de combat en particulier afin d’asseoir sa critique et son refus des choix politiques et militaires sur la fidélité au devoir de protection du pays. 

En effet, ces insoumis ne se recrutent pas dans les milieux habituels de l'extrême-gauche, de l'antisionisme ou du soutien classique à la cause palestinienne. La majorité d'entre eux n'appartiennent à aucun groupe politique. S'ils refusent d'opprimer et d'humilier un peuple, s'ils affirment la nécessité de la fin de l'occupation et le droit des palestiniens à un État libre et souverain, ils se tiennent prêts à défendre leur pays en cas de danger. Le courage de refuser, c'est d'abord un réflexe moral, l'affirmation de valeurs humanistes et le refus d'une « sale guerre ». C'est aussi l'affirmation que la seule alternative aux logiques meurtrières de l'occupation, c'est de créer les conditions d’un État palestinien aux côtés d’Israël.

Pour le Courage de Refuser, il s’agit de reconnaître l'humanité de l'adversaire et de déconstruire la figure de l'ennemi. L'ennemi est celui dont l'existence menace notre propre existence. Cette représentation rend impossible toute médiation et toutes négociations entre Palestiniens et Israéliens. En affirmant que l'occupation et les crimes qu'elle entraîne n'ont pas de justification, le Courage de Refuser rompt avec les logiques totalitaires mais il reçut aussi des soutiens, inattendus comme celui de Michaël Ben Yair, une personnalité prestigieuse, procureur général sous les gouvernements de Rabi et de Perez, de 1993 à 1996 : ce dernier non seulement affiche son soutien mais n’hésite pas à parler d’apartheid entre le régime démocratique et libéral d’Israël et celui des territoires occupés. Plus symbolique, le soutien d’une grande chanteuse israélienne très populaire et qui avait dès 1948 chanté pour les soldats, Yafa Yarkoni. Âgée de 76 ans, elle scandalisa en affichant son soutien aux objecteurs et en comparant la situation des Palestiniens à celle des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Aussitôt ses concerts furent annulés ainsi que toute une série de contrats.

Mais la pétition des objecteurs stimula le regroupement de nombreuses forces de gauche plus ou moins radicales et pacifistes : Gush Shalom, Ta’ayush, Les femmes en noir, Bat-Shalom, Yesh Gvul, New Profile, Black Laundry (homosexuels et lesbiennes contre l’occupation)… Deux semaines après la publication de la lettre, 10 000 personnes manifestaient à Tel Aviv. Cependant, ni La Paix Maintenant, ni le Meretz (le parti à la gauche du parti travailliste) ne participèrent à cette manifestation de soutien aux objecteurs : ils organisèrent leur propre manifestation une semaine plus tard. 

Réactions en Israël

Le mouvement initié par le Courage de Refuser fut globalement condamné par les partis politiques, y compris les travaillistes. A l’exception du journal Ha’aretz, la presse israélienne se montra particulièrement hargneuse et peu professionnelle en couvrant le mouvement, le présentant comme un groupe d’irresponsables de la gauche radicale, ce qui était loin d’être le cas. L’objection de conscience touchait à un tabou en Israël.

Le mouvement des objecteurs de conscience n’est pas homogène et seule une minorité en son sein appartient à une gauche qu’on pourrait qualifier de radicalement antisioniste. 

Ailleurs dans le monde, les objecteurs ne trouvèrent pas non plus de soutien. En effet, opposés à l’occupation et à la colonisation, ils ne sont pas non plus, majoritairement en tous les cas, des antisionistes. Radicaux dans leur critique et dans leur refus mais en même temps, fidèles à leur pays, ils occupent une place singulière. Ainsi, les mouvements de soutien à la cause palestinienne les observent-ils avec méfiance, en particulier s’ils n’affichent pas une critique radicale du sionisme comme mouvement historique et politique. Les sionistes de gauche s’en méfient également car la défense du pays est une valeur cardinale. Ce n’est donc que très récemment qu’un réseau s’est créé pour les soutenir alors même qu’ils sont moins nombreux que jamais, la société israélienne ayant été traumatisée par les évènements du 7 octobre 

Après le 7 octobre, être objecteur…

Depuis le 7 octobre, quelques cas d’objection de conscience en Israël ont fait un peu parler d’eux : il s’agit principalement de personnes jeunes qui ont mûri ce choix en amont des événements effroyables actuels. Plusieurs objecteurs et objectrices de conscience ont été condamnés à 20 ou 30 jours de prison au cours des derniers mois. Yuval Moav, Oryan Mueller, Itamar Greenberg, Ben Arad, Sofia Orr et Tal Mitnick, ces deux derniers respectivement condamnés à 40 et 105 jours de prison.

Le réseau Mesarvot soutient ces objecteurs de conscience ainsi que RSN (Refuser Solidarity Network) et Voices Against War

Il est toutefois difficile actuellement de qualifier cette objection. Comme dans tous les autres mouvements d’objection, le critère moral est essentiel: les objecteurs et objectrices refusent de participer à une guerre qui cause de très nombreuses victimes civiles et ils dénoncent le « système » et l’absence de processus de paix. Toutefois, comme d’autres dissidences en Israël, leur dimension politique et la manière dont elles auraient vocation à se traduire politiquement reste floue. L’après-guerre offrira sans doute des conditions pour cette politisation mais pour l’heure, les critiques, courageuses restent marginalisées en Israël et sans doute parfois délégitimées par l’existence, —  en Israël comme en Europe, aux Etats-Unis et ailleurs — par des discours plus radicaux qui mettent en cause la légitimité de cet État.

Entre fidélité et universalisme 

On se souvient de ce qui avait été traduit comme une alternative et ne l’était pas, quand au cours d’une conférence devant l’académie de Suède le 14 décembre 1957, Albert Camus répondait à un étudiant qui l’avait interpellé sur la lutte des Algériens pour leur indépendance, qu’il n’en approuvait pas toujours les moyens : 

« J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi le terrorisme qui s’exerce aveuglément dans les rues d’Alger. Si c’est là votre justice, alors que ma mère peut se trouver dans le tramway d’Alger où on jette des bombes alors je préfère ma mère à cette justice ». 

Ce mouvement montre que choisir la justice, c'est aussi, et dans tous les cas de figure, choisir aussi sa mère ou son pays. Il n'y a pas de contradiction entre la fidélité à son histoire, à sa famille, à son pays et les valeurs universelles qui imposent la fin de l'occupation. Sans sous-estimer le sentiment d'une menace existentielle ni la peur du néant qui habitent Israël et souvent les communautés juives, ce mouvement affirme qu'un élément constitutif de cette menace est l'impossibilité pour les Palestiniens d'accéder à une vie digne et libre. En ce sens, le Courage de Refuser est peut-être plus encore, le courage d'accepter l'autre, de refuser de participer à son oppression et de défendre l’égalité des droits.


  1. IDF spokesperson, December 3, 2020, Response for information query of New Profile  – Hebrew]

  2. Fabienne Messica, Tamir Tsorek. Refuzniks israéliens, ces soldats qui refusent de servir dans les territoires occupés. Éditions Agnès Vienot. Collection Moisson rouge.

  3. Gush Shalom [Bloc de la paix en hébreu] est une des associations les plus anciennes du « camp de la paix » israélien. Son but est « d’influencer l’opinion publique israélienne afin de l’amener à la paix et à la réconciliation avec le peuple palestinien », selon quatre principes : arrêt de l’occupation, droit à l’auto-détermination du peuple palestinien, droit au retour des réfugiés, retour aux frontières de 1967 et Jérusalem comme capitale des deux États. 

  4. Ta'ayush – en arabe coexistence, de ta'ayasha, vivre ensemble —, est un mouvement israélo-palestinien de protestation civile pour la paix qui s'inspire de la tradition de non-violence de Gandhi et Martin Luther King.

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