À la gauche de Dieu
Sophie Goldblum / Illustration : Mathilde Roussillat Sicsic
Sophie Goldblum prolonge la réflexion entamée dans notre précédent numéro qui interrogeait les contributions juives à la pensée de gauche ; en s'appuyant ici sur quelques feuillets talmudiques soigneusement choisis. Elle y met en lumière la manière dont le droit juif envisage les limites de la propriété privée et la redistribution sociale et interroge la frontière entre charité et justice. L’autrice inscrit sa réflexion dans un mouvement plus large de remobilisation des sources traditionnelles par une certaine gauche, notamment aux États-Unis, qui cherche à élaborer une éthique politique enracinée dans la tradition juive.
Le 29 mars 2024, Jewish Currents, périodique phare de la gauche juive radicale étasunienne, inaugure une nouvelle chronique : le commentaire de la paracha. Les éditeurs·rices de cette publication historiquement laïque s’en expliquent ainsi : « Bien qu’il puisse paraître étrange [...] de se lancer dans un tel projet, nous nous y essayons aujourd'hui car de nombreux membres de notre communauté ont exprimé une aliénation sans précédent au sein de la plupart des institutions juives, ainsi qu'un besoin urgent de renfort spirituel ».
Renfort spirituel ? Il n’en fallait pas plus pour faire rager la vieille garde rouge qui avait accompagné l’essor du journal, du temps où on le distribuait gratuitement dans les syndicats juifs de l’Arbeiter Ring. Jewish currents se trahissait : ce qui avait commencé en politique ne devait pas se perdre en mystique. Il fallait au contraire se prémunir de cet opium casher et préférer les promesses rédemptrices des lendemains qui chantent en ce monde-ci à celles des hypothétiques temps messianiques.
La relève, cependant, ne l'entend pas de la même oreille. Elle n’a pas à tuer le père et son encombrante tradition de jeûnes et de prières : le testament est, sur ce point, lettre vierge, car c’est le judaïsme fantomatique d’un Hermann Kafka qui semble toujours hanter les pères d’aujourd'hui :
Au fond, la loi qui gouvernait ta vie consistait à croire en la vérité absolue des opinions d'une certaine classe juive, ce qui revient à dire, puisque ces opinions faisaient partie de ta personne, à croire en toi-même. Même cela comportait encore une bonne part de judaïsme, mais vis-à-vis de l'enfant, c'était trop peu pour être transmis, ton judaïsme s'épuisait complètement tandis que tu le remettais entre mes mains.¹
Pour les enfants des juifs imaginaires d’aujourd'hui, ce n’est plus la fidélité — que leurs pères ne feignaient déjà plus — qu’il faut transgresser pour naître, mais l’indifférence supérieure de leurs aînés. Comme l’illustre la désarmante assurance d’un Mitchell Abidor, pourfendeur de la nouvelle chronique biblique de Jewish Currents : « Je suis juif parce que je suis juif »². La nouvelle génération n’est ni convaincue ni satisfaite par l'évidence de l'identité. Elle exige de savoir le sens qu’on donne au nom juif, ce qu’il réclame de nous, ce à quoi il appelle.
Ces jeunes juif·ves de gauche veulent désormais faire leurs les rituels comme les textes, et y puiser une impulsion politique. Puisque c’est bien un programme politique qui semble se dégager du Talmud, corpus central du judaïsme : taxations des revenus (traités Pea et Maasser), instauration des cours de justice (traité Sanhédrin), régulation du droit du travail (traité Baba Metsia). Rien de l’ordre social ne semble échapper au questionnement méthodique des rabbins du Talmud. Ceux-ci, toute élite intellectuelle qu’ils sont, vivent des mêmes professions que le tout venant — qui est cordonnier³, qui est berger⁴ — et se frottent à la diversité sociale du marché et des bains ; sujet et théâtre de bien des interactions rabbiniques. Ainsi les sages ne sont pas étrangers aux réalités sociales qui les entourent mais vivent au contraire au cœur de la cité.
Le Talmud n’est pas un texte a-politique : il prend au contraire à bras-le-corps les questions qui animent jusqu'à aujourd'hui le mouvement social.
Et pourtant, force est de constater que l’on cite bien rarement les sources juives pour attaquer — ou justifier — les propositions politiques du gouvernement. La synagogue française résiste à la tentation de se faire arène politique. Il en va autrement de l’autre côté de l’Atlantique, ou les séminaires rabbiniques semblent s'être mués en centres de formation d'activistes, et la bima⁵ en tribune d'assemblée. En France, si on laisse ses opinions politiques à l'entrée de la synagogue, les fidèles n’en sont pas moins des citoyens qui, une fois passés du silence de la prière à celui de l’isoloir, votent... à droite⁶. Car on assiste, dit-on, à une « droitisation » de la communauté juive et de ceux qui revendiquent le fait de la représenter.
Aussi nous faisons nôtre, en la nuançant, cette interpellation du théologien protestant Jacques Ellul : « comment se fait-il que le développement de la société [juive] ait donné naissance à une société, à une culture en tout inverses de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est le texte indiscutable à la fois de la Torah et des Prophètes […] Il n'y a pas ici seulement dérive, il y a contradiction radicale, véritable subversion »⁷.
Par sa nature dialectique, le Talmud relève davantage de l'ébauche, du croquis, que du plan quinquennal. Les modèles qu’il explore ressemblent parfois à une société rêvée par l’imaginaire rabbinique, mais jamais réalisée — répondant par là à la définition même d’un programme politique ? — les rabbins qui la pensent n’ayant en effet pas les moyens de sa mise en œuvre : le Talmud est rédigé en Babylonie, où les juifs vivent sous le joug d’un pouvoir tantôt conciliant, tantôt oppressif, mais dont ils ne sont jamais les détenteurs. Le legs talmudique est alors une invitation à penser le politique depuis la condition minoritaire. Legs encombrant, ou exigeant, pour celleux qui puisent aux sources juives pour dessiner les contours d’une politique nationale en Israël…
Mais quel est, au juste, la nature du legs talmudique ? C’est tout l'objet de cet article qui s’essaie à une esquisse des apports de la théologie juive aux luttes sociales.
Mais, en amont de cette étude, abordons de face la critique qui pourra légitimement lui être opposée : celle d'apposer des citations minutieusement choisies, pour flatter un certain ethos, faisant fi des passages plus dérangeants. Sur ce point l’auteure plaide coupable, mais veut faire valoir des circonstances atténuantes : citer, c’est sélectionner au sein d’un texte. Et si celui sur lequel on s’appuie ici, le Talmud, est fort de 62 traités, on y trouve aussi, il est vrai, des passages d’un racisme odieux, d'une misogynie honteuse, comme des déclarations heurtant la raison et la science. Qu’il me soit pardonné de ne pas y avoir été puiser.
J’aurai tenté, à mon humble mesure, de dépasser les citations des versets familiers des en-têtes de pétitions pour proposer une lecture plus approfondie des sujets explorés.
Il n’est pas question de chercher à enfermer un texte polyphonique dans une tradition politique univoque : le Talmud n’est ni de gauche, ni de droite ; il n’est simplement pas d’accord.
Mais poser une question, envisager ce qui aurait pu être plutôt que ce qui est, ne pas prendre le monde tel qu’il est comme un fait, poser une hypothèse, c’est planter les graines d’un autre possible : c’est déjà un geste politique.
Et si le lecteur ou la lectrice n'emportait de cette lecture que l’intranquillité de la question, l’ouvrier n’aurait pas œuvré en vain (Ps. 127).
Ne pas être pharaon
Avant d’examiner les sources du droit rabbinique et la manière dont les valeurs qu’elles véhiculent peuvent entrer en résonance avec des préoccupations contemporaines, il importe d’inscrire notre réflexion dans le cadre plus large de la question de l’autorité de ces prescriptions. Autrement dit, qu’est-ce qui, dans la nature même du Dieu biblique, inspire et façonne une politique de l’empathie?
Le peuple juif naît de l’opposition à l’oppression égyptienne, son Dieu s’impose face aux dieux d’Égypte. Être juif, c’est faire sien l'héritage du rejet du pharaonisme, de l'oppression⁸.
L’empathie ne jaillit pas du souvenir de notre propre souffrance en Égypte, mais de la nature même du Dieu biblique : un Dieu qui entend les cris des opprimés et ne laisse pas leurs oppresseurs impunis⁹. De belles paroles ? Illustrons-les d’un exemple.
La mishna, corpus juridique mis par écrit au second siècle de notre ère en Palestine romaine, traite ainsi de la construction d’une porte fermant l’accès des cours intérieures, sorte de gated community avant l’heure :
Mishna Bava Metzia 1:5
כּוֹפִין אוֹתוֹ לִבְנוֹת בֵּית שַׁעַר וְדֶלֶת לֶחָצֵר. רַבָּן שִׁמְעוֹן בֶּן גַּמְלִיאֵל אוֹמֵר, לֹא כָל הַחֲצֵרוֹת רְאוּיוֹת לְבֵית שָׁעַר
Si une cour appartient à plusieurs individus qui y ont leurs maisons, ces individus peuvent contraindre chacun d’entre eux à donner sa part pour contribuer à la construction de la porte de la cour.
Rabbi. Simon b. Gamliel dit : toutes les cours n’ont pas besoin de portes.
Le Talmud commente alors cette mishna :
Cela implique que construire un mur est une chose positive (car il semble légitime à la mishna de contraindre les résidents récalcitrants à participer financièrement à sa construction).
Pourtant, on rapporte cette histoire du prophète Élie qui échangeait régulièrement avec une personne, qui construisit un jour une porte à l'entrée de la cour. Et ce jour-là, Élie cessa de lui parler.
Rachi, le grand commentateur français du Moyen Âge, nous explique la raison de ce courroux : fermer la cour permet de maintenir à distance les pauvres qui y entrent d’habitude, et y demandent la charité. C’est pour ne pas entendre leurs cris¹⁰ que le résident a ainsi fait construire cette porte.
Mais si les pauvres peuvent entrer, les brigands aussi ! N’est-ce pas là une raison légitime de s’en protéger ? Rabbi Meir Halevi Aboulafia¹¹ tranche : quand bien même les voleurs pourraient rentrer dans la cour cela ne fait aucune différence¹². Le bénéfice que l’on tire à vivre dans une cité où nul ne peut se soustraire aux pleurs des malheureux l’emporte sur le désir de quiétude des gens de biens.
C’est cette « éthique de l'écoute », cette idée que la rédemption commence avec l’attention portée aux opprimés, qui anime la pensée rabbinique. Voyons comment.
Éthique infinie : hors champ
Le modèle rabbinique de redistribution des richesses diffère profondément du modèle gréco-romain :
C'était toujours la ville qui était en première instance le récipiendaire de la donation et, si ce n'était pas la ville, la communauté civile de la ville. Ce n'était jamais le pauvre. Un homme riche était célébré d'être un philopatris, celui qui témoigne son affection à sa ville natale, jamais d'être un philo potochos, affectueux envers les pauvres. En ce temps-là, la plèbe de Rome comptait un grand nombre de personnes chroniquement dénutries et vulnérables aux maladies. Ils avaient besoin de “pain civil” pour alléger leur faim. Ils ne recevaient pas ce pain parce qu'ils étaient pauvres, ils le recevaient parce qu’ils pouvaient se prévaloir d'une tessera, gage qui prouvait à la manière d'un passeport d'aujourd'hui, qu'ils étaient citoyens¹³.
D’après l’historien Peter Brown, le tournant chrétien de l’Empire romain va déplacer la question du traitement des pauvres du domaine de la responsabilité collective à celui de la charité. Ce tournant dépolitise la question de la pauvreté : la charité est ainsi perçue comme relevant de la vertu individuelle et non d’une obligation collective.
Dans son ouvrage de référence, Justice in the City, auquel le présent article doit beaucoup, Aryeh Cohen démontre qu’une politique juive de la lutte contre la pauvreté se rattache à une tradition de responsabilité collective¹⁴, allant plus loin que l'éthique romaine qui ne connaît de responsabilité qu’envers les siens, les citoyens, quand le Talmud vise le pauvre en soi, indépendamment de ses origines et de son appartenance ou non à la cité¹⁵ comme périmètre d’action de la redistribution.
Pour l’illustrer, faisons un détour hors de la ville. C’est en déambulant entre les champs que, badauds hagards, nous manquons de trébucher sur un cadavre.
Le chapitre 21 du livre du Deutéronome nous montre la marche à suivre.
Si l’on trouve [...] un cadavre gisant en plein champ, et que l’auteur du meurtre reste inconnu, tes anciens et tes juges s’y rendront, et mesureront la distance jusqu’aux villes situées aux alentours. La ville la plus proche du cadavre étant déterminée, les anciens de cette ville prendront une jeune vache qu’on n’aura pas encore employée au travail, qui n’aura porté aucun joug. Ces anciens feront descendre la génisse dans un bas-fond sauvage, où on ne laboure ni ne sème, et là lui briseront la nuque. Puis s'avanceront les pontifes, descendants de Lévi ; car ce sont eux que l’Éternel a désignés pour le servir, et c’est par eux qu’est jugé tout dommage. Et tous les anciens de la ville comme voisins du cadavre, se laveront les mains sur la génisse dont on a brisé la nuque dans le bas-fond. Et ils diront tour à tour : « Nos mains n’ont point répandu ce sang-là, et nos yeux ne l’ont point vu répandre. Pardonne à ton peuple Israël, Seigneur, et ne lui impute pas le sang innocent ». Et ce sang leur sera pardonné.
La mishna interroge ce rituel singulier. Pourquoi les anciens doivent-ils se défendre d’avoir répandu le sang de cet inconnu ? Étaient ils davantage suspects que les autres membres du village ? Le Talmud précise ce que les sages expriment en vérité lors du rituel : nous n’avons pas congédié cet homme alors qu’il était venu à nous. Nous ne l’avons pas vu et laissé sans escorte.
Et c’est Rachi encore une fois qui vient agacer les pourfendeurs de la « culture de l’excuse » : car, explique le sage de Troyes, c’est perdu et affamé que notre homme aurait tenté de voler sa pitance et aurait été tué pour cela. C’est à nous de rendre compte des crimes commis par ceux que notre iniquité réduit à la faim.
Si les Romains, d’après Brown, limitent le périmètre des obligations civiles aux seuls citoyens, nous avons vu que le Deutéronome l'étend à tout homme. L'extension du domaine de l’obligation n’est pas que démographique, elle est aussi géographique, car on notera que le manquement d'accompagner l’étranger démontre que la responsabilité vis-à-vis du pauvre dépasse les frontières physiques de la cité. Comment justifier pareille obligation extra-territoriale ? Celui qui se remet, spatialement, sous la protection de la cité, voit le secours qu’il peut espérer d’elle étendu au-delà de ses frontières : « Rabbi Meir disait : nous forçons l’accompagnement. Car la récompense pour avoir raccompagné quelqu’un est sans mesure » (Sota 46b).
De sorte que ce n’est plus, ni l’origine ni la résidence, mais bien la rencontre avec la vulnérabilité qui est, en soi, génératrice d’obligations.
Mais ces obligations ne sont pas infinies : le degré de responsabilité connait une hiérarchie en fonction de la proximité géographique : pour les dons monétaires, les pauvres de la ville ont préséance sur ceux des villes voisines.
III Droit à la souccah opposable
Voici, c’est là un jeûne que je préfère : rompre les chaînes de l’injustice, dénouer les liens de tous les jougs, renvoyer libres les opprimés et briser enfin toute servitude.
Puis encore, de partager ton pain avec l’affamé, de recueillir les malheureux sans asile ; quand tu vois un homme nu, de le couvrir, de ne jamais te dérober à ceux qui sont comme ta propre chair !
Isaie 58:7
Isaïe est souvent malcompris — c’est peut-être le lot des Prophètes — lu à travers le spectre déformant des allégorisations. Le texte que nous citons en exergue ne vient pas révoquer le jeûne de repentance pour lui préférer la charité. Il vient au contraire inscrire le jeûne dans une dimension autrement plus concrète et transformative : il ne suffit pas de se mettre à la place du miséreux en se mortifiant. Il convient de soustraire les indigents de la place que la pauvreté leur assigne. Le jeûne devient lié à la redistribution de vivres, comme le codifie Maïmonide :
Les jours de jeûne, nous distribuons de la nourriture aux pauvres. Chaque fois qu’un jour de jeûne, les gens mangent et se couchent sans distribuer la charité aux pauvres, ils sont considérés comme des meurtriers. À leur sujet, la tradition orale dit [Isaïe 1:21] : « La charité est retenue toute la nuit, et maintenant [vous êtes] des meurtriers. »¹⁶
Les semonces du prophète ne restent donc pas lettre morte mais sont au contraire codifiées. Les valeurs brandies par Isaïe trouvent aussi écho dans la mishna, au traité Baba Metsia 8:6 :
Si un individu loue une maison à un autre à la saison des pluies, il ne peut pas le mettre dehors en hiver, à savoir de la fête de Souccot jusqu’à Pâques ; s’il veut le mettre dehors, en été, il faut l’avertir 30 jours à l’avance. Dans les grandes villes, on ne peut mettre dehors les locataires ni en hiver ni en été, sans les avertir un an à l’avance.
On peut être surpris de cette instauration d’une trêve hivernale qui suspend, quoique provisoirement, les droits du propriétaire sur son bien au nom d’une obligation d’accueil qu’il nous faut essayer de définir.
Le Rambam, Maïmonide, explicite la cause de cette limitation du droit de propriétaire : « ne pas permettre que le locataire soit jeté à la rue ».
Mais qu’en est-il de celleux qui ne sont pas protégé.e.s par leur contrat de location ? Qui doit répondre de celleux qui sont sans domicile ?
La mishna, au traité Pea (8:7), fait incomber à l’ensemble de la cité la responsabilité de leur accueil :
Au pauvre qui voyage d’un endroit à l’autre on ne donne pas moins de pain que ce que l’on peut avoir pour un pondion (unité de mesure). S’il passe ici la nuit, on ajoute ce qu’il faut pour dormir ; s’il passe ici le shabbat, on lui donne les trois repas de ce jour.
Le sage du nom de Rav explicite ce qu’implique « pour dormir » : il faut, d'après lui, donner au voyageur un lit et un oreiller. Rappelons que ce droit vaut pour quiconque, indépendamment de sa résidence et de sa contribution ou non au pot commun de la ville — quand ne peuvent se prévaloir aujourd'hui au droit au logement opposable (DALO) que les citoyens français ou les détenteurs d’une carte de séjour...
Dans un récent article, Moshe Halbertal analyse une responsa (question de droit) du Rashba, rabbin médiéval catalan, sur la question de la distribution des richesses. Le sage barcelonais rappellera aux nantis de sa communauté que subvenir aux besoins des pauvres est une obligation collective — et non un choix volontaire — fondée sur une fiscalité proportionnelle à la richesse.
Étude oblige
Ainsi relus, ces fragments de littérature rabbinique ne constituent pas un programme politique stricto sensu mais un réservoir de concepts, d’intuitions et de pratiques où puiser pour nourrir une imagination politique pour aujourd'hui, à la manière d’un Moshe Halbertal, qui proclame, en ne plaisantant qu’à moitié : « La communauté juive pourrait bien avoir été le premier “État-providence ».¹⁷
Ce corpus nous enseigne que la question du pauvre, du sans-abri, du marginal, n’est pas périphérique mais centrale; que la redistribution des richesses ne relève pas du bon vouloir des puissants mais que la justice commence là où la communauté se pense responsable.
Reste alors à savoir si nous sommes disposé·es à entendre cette interpellation, et à y répondre autrement que par un assentiment symbolique. Car comme le rappelle le Talmud, si l'étude est première, c’est en ce qu’elle mène à l’action.
Franz Kafka, Lettre au père.
Nous recommandons chaudement aux lectrices et lecteurs anglophones de Daï le podcast ‘On the nose’.
Rabbi Yochanan HaSandlar
Rabbi Akiva.
Estrade à la synagogue
Cf. l’article d’Ashley Mayer-Thibault dans ce même numéro.
La subversion du christianisme, 1984. 2e édition 2001, La Table Ronde.
Jacques Ellul parle évidemment de la société chrétienne, et ajoute « de Jésus et de Paul » dans l'énumération de son corpus après la Torah et les Prophètes.Qu’il me soit permis de renvoyer à cet article où je développe ce propos.
Voir Aryeh Cohen, Justice in the City: An Argument from the Sources of Rabbinic Judaism. Brooklyn, NY: Academic Studies Press, 2012. P 32.
‘Tsehaka’ — le cri — même mot que celui utilisé pour parler du cri des Hébreux que Dieu entend et qui déclenche la rédemption.
Sage iberique du XIIIe siècle.
Le sous-texte biblique de cette histoire est évident : ne pas reproduire les mœurs infâmes des habitants de Sodome et Gomorrhe, qui fermaient leur porte aux étrangers.
Brown, Peter. “Remembering the Poor and the Aesthetic of Society.” The Journal of Interdisciplinary History, vol. 35, no. 3, Jan. 2005, pp. 513–22, notre traduction. https://doi.org/10.1162/0022195052564289.
On renvoie ici à l’éditorial de Benyamin Singer, traduit dans Daï dans notre précédent numéro
Cf. le statut de ‘ger toshav’ étranger résident.
Maïmonide, Mishne Torah, Lois de la charité, 9:4. Notre traduction. Le rabbin andalou Maïmonide, ou le Rambam, est connu comme philosophe, mais il est d’abord l’auteur du Mishne Torah, le premier grand compendium legal médiéval.
https://sapirjournal.org/social-justice/2021/medieval-judaism-and-the-roots-of-the-welfare-state/ je remercie Noemie Issan Benchimol d’avoir porté cet article à ma connaissance.